La République Démocratique du Congo se trouve à un carrefour décisif de sa modernisation administrative. L’avant-projet de politique salariale des agents publics, présenté ce jeudi 25 avril 2025 à la tripartite gouvernementale, cristallise les espoirs de réforme d’un système de rémunération longtemps caractérisé par des disparités criantes. Sous le leadership du Vice-Premier Ministre Jean-Pierre Lihau, ce document stratégique – fruit d’une collaboration inédite entre experts gouvernementaux et l’Intersyndicale nationale de l’administration publique (INAP) – prétend tourner la page des « injustices sociales inacceptables » qui ont miné la fonction publique congolaise.
« Nous sommes à la croisée du chemin », a lancé Lihau lors de la séance technique, martelant que cet instrument « définira l’essentiel de la vie nationale pour les prochaines décennies ». Dans une allocution chargée de symbolisme, le ministre de la Fonction Publique a fustigé l’héritage d’une « République à deux vitesses » où coexistent « privilégiés et exclus ». La philosophie de cette réforme salariale RDC ? Établir une politique rémunération agents publics fondée sur « l’équité, la transparence et la performance », sans pour autant niveler toutes les distinctions. « Les rémunérations ne vont jamais se valoir, mais il faut agir contre les écarts exorbitants », a-t-il nuancé, répondant ainsi aux recommandations pressantes du Président Tshisekedi.
Derrière les déclarations de principe se cachent pourtant des défis techniques redoutables. Les ministres du Budget et des Finances – représenté par sa vice-ministre O’neige N’Sele – ont émis des réserves sur la soutenabilité budgétaire du dispositif. « Les autorités ont demandé l’actualisation de certains ratios », a reconnu un membre de la commission, soulignant l’impératif de préserver « l’équilibre macro-économique ». Un exercice d’équilibriste entre les exigences de justice sociale et la rigueur financière, alors que le Comité de suivi de la paie (CSP) évoque déjà un document « fin prêt » après intégration des observations.
Cette tension n’est pas fortuite. Depuis des années, les agents de l’État dénoncent une répartition inéquitable de l’enveloppe salariale, où « certaines catégories s’accaparent une grande part au détriment des autres ». Le gouvernement peut-il réellement concilier l’aspiration à l’équité salariale Congo avec les réalités comptables ? L’instruction présidentielle de juin 2024, exigeant une politique « mettant l’accent sur le bien-être et les compétences », a placé la barre très haut. Comme le reconnaît Yannick Isasi Ndelo du CSP, l’enjeu dépasse la simple grille de salaires : il s’agit de bâtir « un outil de gestion éclairée » pour repenser fondamentalement la valorisation des ressources humaines de l’État.
Reste que l’adoption finale par le conseil des ministres constituera le véritable test de crédibilité. Si Jean-Pierre Lihau présente cette réforme comme un tournant historique contre les « disparités fonction publique », sa mise en œuvre progressive devra surmonter les héritages d’un système clientéliste. La promesse d’une administration méritocratique, capable d’attirer et de retenir les compétences grâce à une rémunération juste, se heurtera inévitablement aux résistances des bénéficiaires de l’ancien ordre. La RDC parviendra-t-elle enfin à offrir à chaque fonctionnaire « une petite place sous le soleil » ou les logiques de privilèges persisteront-elles sous de nouveaux habillages ? La réponse se jouera dans les arbitrages concrets des prochaines semaines.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd