Le 7 juillet, les mélodies du kiswahili font danser l’Afrique des Grands Lacs, célébrant une langue qui relie 200 millions d’âmes du Mozambique aux confins somaliens. Pourtant, en République Démocratique du Congo où elle résonne dans la bouche de 9,1 millions de locuteurs, cette langue-ciment semble se dissoudre dans l’encre des livres. Un paradoxe vibratoire : omniprésente dans les rythmes populaires, elle devient spectre silencieux dès qu’on franchit les portes des librairies de l’Est.
À Goma, Laëtitia Malira Tembeya, écrivaine et éditrice, confie une amère réalité : « Il ne m’est encore jamais arrivé d’écrire en swahili ». Sa plume résiste à cette langue maternelle, captive d’un marché éditorial où le français règne en maître absolu. Les étals des librairies congolaises ? Des déserts pour le kiswahili, noyé sous les vagues de publications francophones. Comment expliquer que cette langue, officielle au sein de l’Union Africaine, peine tant à trouver sa voix littéraire sur sa propre terre ?
La réponse fuse, acerbe, des lèvres mêmes de l’autrice : « Cette faute incombe à notre système éducatif ». L’enseignement swahili au Congo se réduit à quelques heures furtives, étouffé par les variations dialectales régionales et la sacralisation du français comme sésame social. Les manuels scolaires, ces jardiniers des jeunes esprits, négligent délibérément ses racines bantoues. Un cercle vicieux : moins on l’enseigne, moins on la lit ; moins on la lit, moins on l’écrit.
Plus profond encore, Edimo Moïse, défenseur des langues congolaises, dénonce un mal invisible : « La propagation de la fausse idée selon laquelle un ‘peuple swahili’ existerait au Congo ». Des préjugés tribaux fossilisent la langue dans des frontières imaginaires, alors qu’elle transcende les ethnies comme un fleuve nourricier. Lui-même n’a publié qu’un seul ouvrage sur vingt en kiswahili. Sa proposition ? Une révolution pédagogique : ancrer l’apprentissage dans le jeu, les rituels familiaux et l’éveil quotidien pour que les enfants de Goma caressent ses mots comme des perles familières.
Ironie cruelle : tandis que la promotion du kiswahili en RDC piétine, l’ONU consacre son rôle de « promoteur de la paix panafricaine » par résolution officielle. Langue des échanges transfrontaliers et du commerce, elle irrigue pourtant l’économie informelle de l’Est congolais. Mais dans les rayons des bibliothèques universitaires, son absence crie le paradoxe d’une Afrique qui chérit ses langues en chanson mais les étouffe en littérature. La route vers la renaissance ? Peut-être dans ces méthodologies didactiques où l’enfant de Bukavu ou Kisangani redécouvrirait la saveur musicale des mots swahilis comme on hume un fruit mûr.
Alors que le soleil de la Journée mondiale kiswahili se couche sur le lac Kivu, une question persiste : cette langue aux 200 millions de voix saura-t-elle briser son carcan pour devenir enfin, en terre congolaise, une cathédrale de papier ? L’urgence est là, dans chaque salle de classe vide de manuels, dans chaque manuscrit non publié. Car une langue qui n’écrit pas son futur est condamnée à n’être qu’un écho du passé.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
