Les pluies diluviennes ont eu raison du pont Tipiwe, laissant derrière elles un paysage de désolation et des milliers d’habitants prisonniers de leur propre quartier. « Nos tomates pourrissent sur place tandis que les marchés de Beni crient famine », se désole un agriculteur du quartier Masiani, les pieds dans la boue. Depuis son effondrement il y a sept jours, cet ouvrage stratégique qui reliait les zones agricoles de Sayo aux marchés de Matembo n’est plus qu’un squelette de bois brisé, plongeant la circulation dans le chaos.
Dans les quartiers Sayo, Masiani et Kuka, la vie s’est transformée en parcours du combattant. Les planches transversales usées, emportées par les eaux, ont créé une faille béante. Pour rejoindre leurs champs ou écouler leurs récoltes, les habitants doivent désormais effectuer des détours de plusieurs kilomètres sous une chaleur accablante. « Hier encore, je mettais vingt minutes pour atteindre le marché Matembo. Aujourd’hui, c’est deux heures de marche forcée avec ma cargaison sur la tête », témoigne Mukumbu Kahindo, mère de cinq enfants, en essuyant la sueur qui perle sur son front.
L’effondrement du pont Tipiwe révèle crûment la vulnérabilité des infrastructures du Nord-Kivu. Germain Kathimika, président de la société civile de Matembo, lance un cri d’alarme : « Comment pouvons-nous survivre quand notre cordon ombilical est coupé ? Ce pont était vital pour toute la ville de Beni ». Son appel pressant résonne comme un reproche aux autorités : « Nous demandons au bourgmestre, au maire, au gouvernement provincial d’agir maintenant. Chaque jour perdu aggrave notre précarité ».
Face à l’urgence, le bourgmestre de Mulekera, Dieudonné Ngongo Mayanga, affirme avoir alerté sa hiérarchie. Mais dans les ruelles boueuses de Sayo, la patience s’effrite. Des femmes tentent périlleusement de traverser les débris du pont, paniers en équilibre sur la tête, tandis que des enfants jouent inconscients près du gouffre. La reconstruction du pont Tipiwe devient un symbole : jusqu’où les habitants devront-ils pousser la débrouille avant que les promesses ne se concrétisent ?
Cette crise met en lumière un enjeu plus profond : la fracture infrastructurelle qui isole les communautés agricoles. Alors que les quartiers Sayo regorgent de produits frais, les marchés de Beni voient les prix s’envoler. « C’est un cercle vicieux, analyse un commerçant de Matembo. Les paysans ne peuvent plus vendre, nous ne pouvons plus acheter, et la ville entière en souffre ». Dans l’attente d’une solution, des jeunes organisent des chaînes humaines pour transporter les plus vulnérables. Une solidarité qui pallie temporairement l’absence des pouvoirs publics, mais qui ne saurait remplacer une reconstruction durable du pont Nord-Kivu.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net