La nuit kinoise du 7 juillet a emporté avec elle l’un des piliers de la création vestimentaire africaine. Cherry Essam, de son vrai nom Esamotunu Watu Zalemi Picheri Patrick, a définitivement déposé ses ciseaux dans un hôpital de Kinshasa, laissant derrière lui un vide béant dans l’univers du textile congolais. Comment mesurer l’ampleur de cette perte, alors que pendant un quart de siècle, ses mains ont transcendé le simple artisanat pour sculpter l’identité même d’une génération ?
Son parcours, semblable à un tissu aux motifs complexes, a traversé les frontières. Né d’une passion initiale pour la musique, c’est finalement sur les podiums du Cameroun vers l’an 2000 que son génie créatif s’est pleinement épanoui. Les capitales de la mode africaine – Libreville, Brazzaville, Dakar – ont vibré au rythme de ses collections « Cherry Esam », marque devenue synonyme d’excellence. Chaque création était un dialogue entre racines ancestrales et audace contemporaine, un manifeste où le pagne dansait avec le modernisme.
Le ministère de la Culture, Arts et Patrimoine a salué dans une déclaration empreinte d’émotion « un styliste d’exception dont la fidélité aux valeurs culturelles congolaises restera gravée dans notre mémoire collective ». Cette reconnaissance institutionnelle résonne comme un écho tardif à un talent que l’étranger avait souvent célébré avant son propre pays. La Fédération Congolaise de la Mode (FECOMA) a quant à elle rendu hommage à « un artiste passionné dont l’amour du métier a élevé tout un secteur », soulignant combien ses ciseaux avaient cousu bien plus que des étoffes : de la dignité.
Octobre 2024 restera comme son chant du cygne : au Musée National de la RDC, son défilé-anniversaire des 25 ans avait transformé les mannequins en ambassadrices d’une Afrique élégante et fière. Ce soir-là, sous les projecteurs de Kinshasa, les broderies racontaient l’histoire d’un homme qui rêvait d’écoles pour jeunes tailleurs, qui militait à la tête de l’Association des Couturiers Professionnels de Kinshasa pour une reconnaissance étatique du textile comme levier économique.
Sa disparition laisse inachevé ce projet pédagogique qui lui tenait tant à cœur, mais son héritage, lui, est indélébile. Dans chaque wax qu’il a magnifié, dans chaque silhouette qu’il a structurée, persiste cette conviction qui l’animait : la mode n’est pas futilité, mais langage politique, affirmation d’un patrimoine culturel congolais capable de rayonner. Le baobab est tombé, mais ses graines ont déjà germé dans l’imaginaire de toute une profession.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd