La signature de l’accord de paix entre la République démocratique du Congo et le Rwanda le 27 juin 2025 à Washington marque un tournant diplomatique dans un conflit qui ensanglante la région des Grands Lacs depuis trois décennies. Sous médiation américaine, les ministres des Affaires étrangères des deux pays ont paraphé un document ambitieux visant à instaurer une paix durable. Pourtant, cette avancée majeure suscite déjà des interrogations fondamentales : pourquoi les parlements congolais et rwandais n’ont-ils pas été consultés préalablement comme l’exigent leurs constitutions respectives ?
L’accord RDC-Rwanda 2025 repose sur cinq piliers structurants qui en font un instrument complet de résolution de crise. Le premier engagement concerne le respect strict de l’intégrité territoriale et la cessation immédiate des hostilités, impliquant notamment le retrait des troupes rwandaises du territoire congolais et l’arrêt du soutien présumé de Kinshasa aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Deuxième pilier : le désengagement, le désarmement et l’intégration conditionnelle des groupes armés non-étatiques, avec une feuille de route précise pour la neutralisation du M23 et des FDLR.
Troisième axe majeur, la mise en place d’un mécanisme conjoint de coordination sécuritaire s’appuyant sur le Concept des opérations (CONOPS) établi en octobre 2024, destiné à superviser les opérations transfrontalières. Le volet économique constitue le quatrième pilier avec un cadre ambitieux d’intégration régionale incluant des projets communs dans l’hydroélectricité, la gestion des parcs nationaux et surtout la traçabilité des minerais stratégiques, sans toutefois créer de co-entreprise ni céder des ressources naturelles. Enfin, l’accord réactive le protocole de 2010 sur le retour des réfugiés et déplacés, avec des garanties d’accès humanitaire.
Malgré cette architecture complète, la procédure de signature a délibérément contourné les parlements nationaux, créant une controverse constitutionnelle majeure. Comment expliquer cette omission alors que l’article 214 de la constitution congolaise et l’article 189 de la constitution rwandaise stipulent clairement que tout traité de paix doit être ratifié par les assemblées législatives ? Trois facteurs principaux éclairent cette décision.
L’urgence diplomatique apparaît comme la motivation première. Face à la persistance des offensives du M23 dans l’est de la RDC et la pression croissante de la communauté internationale, les exécutifs ont privilégié une signature accélérée sous médiation américaine. Le calendrier seré imposé par Washington ne permettait pas d’attendre les délais inhérents aux processus parlementaires, particulièrement au Congo où les débats législatifs peuvent s’étendre sur plusieurs mois. Le risque était réel de voir les fragiles avancées diplomatiques s’effriter avant même leur formalisation.
La complexité politique interne constitue le deuxième facteur déterminant. Le parlement congolais avait déjà démontré sa capacité de blocage en 2022 en gelant des accords avec l’Ouganda en raison des tensions sous-jacentes avec Kigali. Les divisions politiques à Kinshasa et la sensibilité extrême des questions sécuritaires concernant le Rwanda faisaient redouter un enlisement préjudiciable. Du côté rwandais, bien que le parlement soit plus docile, le gouvernement préférait éviter un débat public sur les concessions faites à la RDC.
Enfin, une justification juridique a été avancée : la qualification de l’accord comme « engagement simplifié » plutôt que comme « traité solennel », le dispensant ainsi de ratification préalable. Cette subtilité sémantique est pourtant contestée par d’éminents constitutionnalistes qui soulignent que les clauses économiques sur les minerais stratégiques et les projets énergétiques engagent directement les finances publiques et modifient des dispositions législatives, tombant ainsi sous le coup des articles constitutionnels exigeant la validation parlementaire.
Les réactions post-signature révèlent des clivages profonds. Si le président de l’Assemblée nationale congolaise Vital Kamerhe a salué une « étape décisive » tout en rappelant la nécessité d’unité nationale, le Conseil national de suivi de l’accord (CNSA) exige une régularisation parlementaire immédiate. Des juristes pointent le risque de contestation future, particulièrement sur les mécanismes de traçabilité minière perçus par certains comme une ingérence étrangère dans la souveraineté nationale. L’opposition congolaise parle déjà d’« inconstitutionnalité flagrante » tandis que des organisations de la société civile à Goma dénoncent l’opacité des annexes techniques sur la sécurité frontalière.
La mise en œuvre pratique rencontre déjà des obstacles substantiels. La neutralisation des FDLR, condition sine qua non du retrait rwandais, bute sur leur collaboration historique avec certaines unités des FARDC et leur dispersion dans les maquis de l’Est congolais. Le médiateur qatarien peine à relancer les négociations avec la branche politique du M23, qui réclame toujours un statut spécial au Nord-Kivu. Ces difficultés opérationnelles soulèvent une question cruciale : un accord de paix conclu dans l’urgence sans ancrage parlementaire solide peut-il résister aux tempêtes politiques à venir ?
L’implication américaine constitue néanmoins un gage de suivi. L’annonce que Donald Trump recevra fin juillet les présidents Kagame et Tshisekedi pour évaluer les premiers progrès démontre l’intérêt stratégique des États-Unis dans cette résolution de crise. Plus fondamentalement, cet accord ouvre des perspectives régionales inédites. La relance potentielle de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) pourrait coordonner les projets énergétiques communs, tandis que le mécanisme de sécurité conjointe préfigure une force réactive régionale.
Au-delà des défis immédiats, la véritable question demeure celle de la légitimité démocratique. Comme le résume Eugène Diomi Ndongala de la Démocratie Chrétienne : « La paix hors du droit est une paix éphémère ». La ratification parlementaire n’est pas une simple formalité procédurale mais une condition essentielle pour ancrer cette paix fragile dans l’adhésion populaire et prévenir les dénonciations unilatérales futures. Le prochain chapitre de ce traîté RDC-Rwanda s’écrira donc autant dans les couloirs des assemblées législatives que sur le terrain des opérations sécuritaires.
Article Ecrit par Cédric Botela