L’air de Kinshasa vibre d’une colère transformée en mélodie coupante. Dans un élan de courage artistique, Suintement Kabasele, figure montante de la scène urbaine congolaise, a orchestré un séisme musical : 18 voix rappées unies sur 12 minutes enflammées pour dénoncer les bavures policières qui ensanglantent les rues de la capitale. Ce titre, baptisé du sinistre surnom du bus anti-émeute, frappe comme un marteau-pilon sur les consciences avec son beat sombre et ses couplets incisifs.
Imaginez cette symphonie protestataire : Munkendi Nkoy, C2B, Bogo The GOAT et quatorze autres fers de lance du rap kinois, dont la rappeuse Bem’s la Star, tissent une toile lyrique implacable. Chaque vers est une balle verbale ciblant l’arbitraire policier, chaque rime un miroir tendu à la société congolaise. Le refrain, lancinant, scande l’avertissement glaçant : « Tika ko tambola, oko kutana na Kabasele» – « Ne te promène pas trop, tu risques de croiser Kabasele ». Cette phrase, devenue hymne de résistance passive, résume l’angoisse quotidienne d’une jeunesse prise au piège entre quatre roues.
Le bus anti-émeute Kabasele, ce colosse métallique censé incarner l’ordre, s’est mué en cauchemar roulant pour les Kinshasa. Son passage sème la terreur : arrestations arbitraires, fouilles humiliantes, extorsion systématique. Combien de jeunes hommes, accusés sans preuve, doivent payer pour retrouver une liberté qui n’aurait jamais dû leur être volée ? Cette musique engagée Congo devient alors catharsis collective, transformant l’impuissance en puissance rythmée.
Le choix de la date de sortie – le 30 juin 2025, jour anniversaire de l’indépendance – n’est pas anodin. Quel symbolisme puissant ! Alors que la nation célèbre sa liberté, ces artistes rappellent crûment qu’aucun peuple ne peut s’épanouir sous la menace permanente de ses propres protecteurs. Le clip, diffusé comme un manifeste visuel, amplifie ce message de dénonciation sociale. Ce rap protestataire Kinshasa transcende la simple performance ; c’est un tribunal populaire où les micros remplacent les gavels.
Écoutez ces flows tantôt rageurs, tantôt désespérés : Mobutu Satana et Zepekenio cisèlent des métaphores acérées, tandis que la voix rocailleuse du Général Magnéton tonne comme un verdict. L’ingéniosité réside dans cette mosaïque stylistique : du rap conscient au trap militant, chaque intervenant apporte sa couleur à cette fresque sonore. Le beat, volontairement oppressant, évoque les sirènes de police et les portières qui claquent – une bande-son pour l’injustice.
Mais au-delà de la dénonciation, que nous dit cette œuvre sur la résilience kinoise ? Face aux bavures policières RDC, la créativité devient bouclier. Ces 18 artistes, risquant leur carrière pour cette prise de parole, réinventent la protestation. Leur arme ? Des mots plus percutants que les matraques. Leur champ de bataille ? Les plateformes streaming et les téléphones des quartiers populaires. Cette musique n’est-elle pas le nouveau bulletin d’information des sans-voix ?
En cette ère où les bus anti-émeute Kabasele sillonnent les artères de la capitale, Suintement et sa brigade lyrique offrent bien plus qu’un morceau : un exutoire, une archive sonore des luttes urbaines, et peut-être… l’ébauche d’un changement. Quand l’art refuse de se taire, les murs des indifférences tremblent. La jeunesse congolaise, par ce rap cathartique, écrit sa propre histoire – une partition où l’espoir rime avec résistance.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Eventsrdc