Le crépuscule d’une ère. Ce 1er juillet 2025, l’évangélisme pentecôtiste américain perd son paradoxe vivant : Jimmy Lee Swaggart s’est éteint à Baton Rouge, laissant derrière lui un sillage de louanges gospel et de controverses brûlantes. Comme un psaume inachevé, sa vie aura oscillé entre les chœurs célestes et les chuchotements terrestres, entre les estrades sacrées et les chambres d’hôtel interlopes. L’homme qui fascina des millions d’âmes de Kinshasa à Moscou repose désormais, ses contradictions ensevelies avec lui.
Né en 1935, ce barde du Mississippi tissa sa légende à coups de sermons enflammés et de mélodies sacrées. Son ministère, véritable arche médiatique, naviguait sur les ondes de la SonLife Broadcasting Network, atteignant 140 pays. En Afrique, particulièrement en République Démocratique du Congo où l’évangélisme pentecôtiste fleurit dans les savanes urbaines, sa voix rocailleuse résonnait comme un oracle moderne. Qui n’a pas croisé, à Kisangani ou Lubumbashi, ces autocollants aux lettres dorées : « Jimmy Swaggart Ministries » ? Ses croisades drainaient des foules comparables aux rassemblements politiques, preuve que le gospel américain savait traverser les océans comme un cantique porté par le vent.
L’apothéose des années 80 le vit trôner parmi les télévangélistes les plus influents de la planète. Quinze millions d’albums écoulés, des nominations aux Grammy Awards, un collège biblique érigé comme forteresse de la foi : l’empire Swaggart semblait inébranlable. Ses mains, qui pianotaient des hymnes le dimanche, bâtissaient un royaume où la grâce divine épousait l’audimat. Mais l’ivresse des sommets précipite souvent les chutes les plus spectaculaires.
1988 sonna le glas de l’innocence. Le scandale éclata comme un psaume diabolique : l’apôtre aux cheveux d’argent pris en flagrant délit avec une prostituée. L’Assemblée de Dieu le défroqua, tel un grand prêtre souillé. Trois ans plus tard, récidive. Ces scandales de télévangélistes ébranlèrent les fondations mêmes du mouvement évangélique pentecôtiste. Les fidèles congolais, si fervents, durent déchirer leurs posters dans une douloureuse désillusion. Comment ce héraut de la morale put-il sombrer dans de tels abîmes ? La réponse peut-être gît dans cette humanité fragile qu’il prêchait justement.
Pourtant, le phénix renaquit de ses cendres. Jimmy Swaggart transforma son ministère en arche non-dénominationnelle, continuant jusqu’à son dernier souffle à parler de rédemption. Ses livres, lus sous les vérandas de Goma ou dans les bibliothèques de Kananga, martelaient ce credo : la chute n’est jamais définitive. N’est-ce pas là le paradoxe ultime ? L’homme qui incarna la déchéance des prédicateurs devint l’apôtre du pardon. Son dernier combat, mené contre un arrêt cardiaque en juin 2025, ressemblait à une ultime métaphore : un cœur qui avait tant vibré pour Dieu et scandalisé les hommes, terrassé par ses propres faiblesses.
Aujourd’hui, le silence. Les studios de Baton Rouge où résonnaient ses « Amen » tonitruants semblent hantés par l’absence. Le décès de Jimmy Swaggart clôt un chapitre de l’histoire religieuse où la sainteté cohabitait avec le péché charnel. Son héritage ? Un gospel américain teinté de mélancolie, une foi pentecôtiste qui dut absorber le choc de ses transgressions. En RDC comme ailleurs, les églises évangéliques héritent de cette question lancinante : jusqu’où peut s’étendre la miséricorde divine face aux failles de ses messagers ?
La nuit tombe sur la Louisiane. Quelque part, un vieil album de Jimmy Swaggart grésille encore dans un poste radio congolais. Entre les crépitements, sa voix rauque chante toujours la grâce. Ironie suprême pour ce roi déchu du gospel : dans la mort comme dans la vie, il nous force à méditer sur cette éternelle dialectique entre la chair et l’esprit, entre la chute et la rédemption. Son requiem, à défaut d’être pur, restera terriblement humain.
Article Ecrit par Yvan Ilunga