Les eaux turbulentes de la rivière Osso ont rendu une partie de leur macabre fardeau ce mardi. Dans le groupement Wassa, à Walikale, des habitants ont repêché trois corps, premières traces tangibles du drame qui a secoué la région samedi dernier. Ces dépouilles, dans un état avancé de décomposition, ont été mises en terre près des berges boueuses, ultime halte pour ces victimes d’une traversée qui a tourné au cauchemar.
« Nous avons enterré ces corps avec la dignité possible dans ces circonstances douloureuses », confie Shemwiso Bitashimwa, secrétaire administratif d’Utunda, la voix chargée d’une lassitude qui dépasse la fatigue physique. Son équipe et des volontaires fouillent inlassablement les méandres de cette rivière capricieuse, symbole de vie devenue instrument de mort. Comment expliquer qu’un trajet routinier pour des travailleurs se transforme en piège aquatique ? La question hante désormais les villages riverains.
Le drame s’est noué lorsque la pirogue surchargée – 19 personnes à son bord – a chaviré dans les eaux froides de l’Osso. Parmi les passagers, des mineurs quittant le carré minier de Kalay pour rejoindre le site de Baninga. Quatorze survivants ont pu regagner la rive, secoués mais vivants. Cinq autres ont disparu dans le courant impitoyable, engloutis en quelques secondes. Leur destin rappelle cruellement la précarité des transports fluviaux dans cette région du Nord-Kivu, où les pirogues servent de bus aquatiques faute d’infrastructures terrestres.
La scène des recherches ressemble à un cortège de désespoir organisé. Des hommes scrutent la surface trouble, armés de perches improvisées, tandis que des femmes pleurent silencieusement sur la berge. Chaque recoin de la rivière est inspecté avec une urgence mêlée d’impuissance. « Nous ne lâcherons pas tant qu’il restera un disparu », jure un habitant de Wassa, les bras striés d’égratignures. Cette mobilisation populaire témoigne d’une solidarité face à l’adversité, mais aussi de l’absence criante de moyens officiels de secours.
Derrière ce naufrage se profile une réalité plus sombre encore : celle des milliers de Congolais dont la survie dépend de ces traversées périlleuses. Ces mineurs de Kalay, souvent payés au lance-pierre, n’avaient d’autre choix que d’emprunter cette voie rapide mais mortelle pour rejoindre leur lieu de travail. Combien de drames similaires faudra-t-il encore pour que des alternatives sécurisées émergent ? La rivière Osso charrie désormais les stigmates d’une économie informelle qui broie les vies humaines.
Les communautés d’Utunda et Wassa, désormais liées par le deuil, attendent avec angoisse la découverte des deux corps manquants. Chaque heure qui passe réduit les espoirs, alourdit le poids du chagrin. Ce naufrage s’inscrit dans une longue liste noire d’accidents pirogues au Congo, symptôme d’un problème structurel qui dépasse la simple malchance. Quand donc les autorités prendront-elles des mesures concrètes pour réguler ces transports et fournir des embarcations dignes de ce nom ?
Alors que la nuit tombe sur la rivière Osso, les lampes-torches des chercheurs dessinent des faisceaux tremblants sur l’eau noire. Chaque clapotis fait sursauter. Dans cette quête des disparus, c’est toute la vulnérabilité des populations rurales du Nord-Kivu qui se donne à voir. Un drame local qui pose une question nationale : jusqu’à quand laissera-t-on les plus pauvres payer de leur vie l’absence de politiques de transport adaptées ? La rivière, elle, continue son cours indifférent, emportant avec elle les réponses.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
