Le cadavre flottant dans l’étang piscicole de Kailenge raconte à lui seul le drame qui se joue dans l’ombre du territoire de Walikale. Lundi soir, des paysans ont découvert ce corps sans vie – celui d’un père de famille fuyant Bukombo après l’occupation de son village par les rebelles. Venu chercher de quoi nourrir les siens dans ce groupement de Waloa Yungu, il est devenu le symbole glaçant de la détresse des déplacés internes Walikale. « Il est parti pour une simple quête de nourriture et n’est jamais revenu », murmure un notable local, la voix nouée par l’émotion.
Derrière ce drame individuel se profile une tragédie collective. Depuis l’intensification des hostilités entre l’AFC-M23 et l’armée soutenue par les wazalendo, des vagues successives de déplacés déferlent sur le Nord-Kivu, transformant Walikale en épicentre d’une crise humanitaire sournoise. Bwira Bisika, secrétaire administratif de Waloa Yungu, dresse un constat accablant : « Des milliers de personnes survivent ici sans le moindre soutien. Pas de nourriture, pas d’abris décents, pas de soins médicaux. Comment peut-on abandonner ainsi des êtres humains ? »
La question résonne comme un cri d’alarme dans cette région oubliée. Les nouveaux arrivants, souvent venus à pied de Masisi, errent dans des camps de fortune où la faim tenaille les ventres. Des enfants aux yeux creux fouillent les décharges pendant que des femmes enceintes partagent une poignée de manioc pour toute ration quotidienne. Cette précarité extrême crée un terreau fertile pour les drames : combien d’autres pères désespérés risqueront leur vie demain pour un sac de farine ?
Le mécanisme infernal est implacable : les combats chassent les populations, l’isolement géographique de Walikale entrave l’aide, et les déplacés sans assistance RDC sombrent dans une lutte quotidienne pour la survie. « Nous avons signalé l’urgence humanitaire Kivu aux autorités et aux ONG », insiste Bisika, « mais les convois n’arrivent pas. Sans intervention immédiate, d’autres morts absurdes suivront. »
Les racines de cette crise plongent dans le conflit récurrent opposant les rebelles aux forces gouvernementales. Chaque avancée des combattants de l’AFC-M23 génère son lot de familles en fuite, créant un maelström de misère qui dépasse les capacités de réponse locale. Pourtant, face à cette urgence humanitaire, le silence des grands acteurs internationaux interroge. Quand la communauté humanitaire prendra-t-elle la mesure de l’hécatombe silencieuse qui se joue dans ces collines du Kivu ?
Ce drame de Kailenge n’est pas un incident isolé, mais le symptôme d’un système défaillant. Alors que les projecteurs se braquent sur Goma ou Bunagana, des territoires entiers comme Walikale sombrent dans l’angle mort de l’aide. La mort de ce déplacé anonyme crie l’urgence d’une coordination renforcée entre Kinshasa, les agences onusiennes et les ONG pour désenclaver ces zones et briser le cycle infernal du déplacement et de la faim. Car derrière les statistiques glacées des déplacés internes Walikale, ce sont des destins humains qui se brisent chaque jour dans l’indifférence.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd