La rencontre entre le président Félix-Antoine Tshisekedi et la délégation œcuménique CENCO-ECC samedi dernier à la Cité de l’Union africaine marque un tournant ambigu dans la gestion de la crise sécuritaire qui déchire l’Est de la République démocratique du Congo. Trois mois après le lancement d’une vaste consultation internationale couvrant l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, les dignitaires religieux ont enfin présenté leurs conclusions au chef de l’État, dans un contexte où la présence des forces rwandaises et du M23 continue de miner la souveraineté nationale.
Selon les informations concordantes, le pasteur Nsenga a structuré la remise du rapport autour de deux piliers fondamentaux : l’identification des voies de sortie à l’insécurité chronique dans l’Est et la proposition d’un mécanisme de suivi chargé de transformer les recommandations en actions concrètes. Le président Tshisekedi a immédiatement réagi en constituant une équipe de travail conjointe avec la CENCO-ECC, un geste interprété comme une validation partielle du processus. Mais cette apparente ouverture dissimule-t-elle une stratégie plus subtile de récupération politique ?
Les analyses convergent pour souligner la dimension calculée de cette démarche. En créant un cadre institutionnel parallèle, Tshisekedi évite d’endosser pleinement l’initiative religieuse tout en canalisant son influence. Comme le relève une source proche du dossier, « le président joue sur plusieurs échiquiers : il désamorce les critiques sur son inaction à l’Est tout en maintenant les Églises dans un rôle consultatif strictement contrôlé ». Une position d’équilibriste qui répond aux récentes attaques de Jean-Pierre Bemba, vice-Premier ministre et leader du MLC, tout en satisfaisant symboliquement l’opposition Lamuka.
Pourtant, cette médiation religieuse bute sur des résistances tenaces au sein même de la majorité présidentielle. Le délai de trois mois avant l’audience finale, inhabituellement long, trahirait selon Africa News des dissensions au sommet de l’État. Certains caciques redouteraient l’émergence d’un contre-pouvoir moral capable de court-circuiter les canaux politiques traditionnels. La question sous-jacente demeure : cette initiative peut-elle réellement infléchir la dynamique guerrière à l’Est quand les acteurs armés, soutenus par Kigali, semblent sourds à toute diplomatie ?
Le rapport lui-même, dont les détails restent jalousement gardés, aurait identifié des pistes concrètes pour briser l’engrenage des violences. Mais son efficacité dépendra de la volonté réelle du gouvernement à transposer ces recommandations en mesures opérationnelles. La création du mécanisme de suivi apparaît dès lors comme un test crucial : simple alibi ou véritable outil de pacification ? Les prochaines semaines révéleront si cette collaboration inédite entre l’État et les confessions religieuses parvient à dépasser le stade symbolique.
Dans l’immédiat, Tshisekedi semble avoir habilement retourné l’argument de la légitimité. En associant les Églises à sa réponse sécuritaire, il coupe l’herbe sous le pied à d’éventuels contestataires qui ne pourront « prétendre demain ne pas avoir été entendus », comme le souligne une analyse cinglante. Reste que cette stratégie de cooptation institutionnelle risque de buter sur l’urgence quotidienne des populations du Kivu. Car si les religieux ont parcouru le monde pour dessiner des solutions, la tragédie congolaise, elle, continue de se jouer dans l’indifférence internationale, au rythme des enterrements et des déplacés. La crédibilité du processus dépendra désormais d’une seule variable : sa capacité à produire des résultats tangibles sur un terrain miné par trois décennies de conflits.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
