« Les tabliers se fissurent, les barres de fer rouillent à vue d’œil, et chaque camion qui passe pourrait être le dernier » : le cri d’alarme d’Omar Kanyingi, coordonnateur du Cercle jeunes Tchokwe-Lunda, résonne comme un glas dans la province du Kasaï. Sous les assauts répétés des creuseurs diamant artisanaux, le pont Ngombe-Tshikapa – artère vitale entre la cité de Ngombe et le chef-lieu provincial – vacille dangereusement au-dessus de puits béants.
Des dizaines d’excavations illégales, creusées à même les berges pour traquer la moindre pépite, ont fragilisé les fondations de cette structure déjà âgée. « Le béton se délite comme du sucre dans l’eau », décrit Kanyingi, montrant du doigt des fissures sinueuses qui zèbrent les piliers. Chaque passage de véhicule provoque désormais un inquiétant ballet de poussière et de gravats. Cette situation critique pose une question brutale : jusqu’à quand les autorités provinciales ignoreront-elles cette bombe à retardement ?
L’effondrement du pont Kasaï plongerait des milliers de familles dans un isolement dramatique. Ngombe, cité enclavée, dépend intégralement de ce lien pour l’acheminement des denrées alimentaires, des médicaments et du matériel scolaire. « Sans cette voie, nos marchés deviendront des déserts et nos malades mourront faute d’ambulance », s’emporte un habitant croisé près des chantiers de creusage. Les conséquences économiques seraient tout aussi dévastatrices : 75% des produits agricoles de la zone transitent par ce pont vers Tshikapa.
Derrière cette crise, se cache le dilemme insoluble de l’exploitation minière artisanale. Si les creuseurs diamant artisanaux cherchent désespérément leur survie quotidienne, leurs méthodes anarchiques sacrifient l’intérêt collectif. « Ils grattent la terre jusqu’à 15 mètres de profondeur sans aucun contrôle technique », déplore un ingénieur civil sous couvert d’anonymat. Le Cercle jeunes Tchokwe-Lunda exige désormais un doublement des actions : sécurisation immédiate des abords du pont et création de zones d’extraction réglementées.
L’isolement de la population Ngombe n’est pas une hypothèse lointaine, mais une réalité qui se profile jour après jour. Des commerçants réduisent déjà leurs livraisons, anticipant la rupture du lien. Les écoles rapportent des absences croissantes d’enfants dont les parents craignent la coupure des routes. Cette négligence infrastructurelle illustre cruellement le fossé entre Kinshasa et les territoires oubliés du Kasaï. Quand une communauté entière vit sous la menace d’un effondrement annoncé, l’inaction des gouvernants devient-elle criminelle ? La réponse se jouera dans les prochaines semaines, au rythme des marteaux-piqueurs des creuseurs et des craquements du béton mourant.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd