Le marché cobalt mondial retient son souffle à l’approche du 22 juin, date butoir de la suspension exportations cobalt RDC décrétée en février dernier. Cette mesure stratégique, comparable à un coup de frein brutal dans la course effrénée des approvisionnements, visait explicitement à enrayer l’effondrement des cours en réduisant l’offre disponible. Les premiers résultats semblent tangibles : après des mois de volatilité extrême, le prix cobalt tonne s’est stabilisé autour de 33 000 dollars, soit une consolidation de près de 18% par rapport aux creux de fin 2023.
Quel mécanisme économique sous-tend cette décision ? En bridant temporairement les flux sortants, Kinshasa a exercé une pression artificielle sur la courbe de l’offre. La RDC, qui pèse 70% de la production mondiale de ce métal stratégique pour la transition énergétique, détient un levier disproportionné sur les équilibres globaux. « Lorsqu’un géant éternue, le marché s’enrhume », souligne un analyste minier sous couvert d’anonymat, rappelant que chaque variation de 10% des exportations congolaises induit des ondes de choc dans les bourses de métaux de Londres et Shanghai.
Pourtant, cette stabilisation masque des tensions souterraines. Les stocks mondiaux ont fondu de 12% depuis février, selon les données du Cobalt Institute, tandis que les fonds spéculatifs augmentent leurs positions acheteuses. Les acheteurs chinois, principaux destinataires du cobalt congolais, ont activé des circuits alternatifs via la Zambie voisine, créant un marché gris estimé à 8 000 tonnes mensuelles. Cette déviation commerciale illustre les limites des barrières unilatérales dans une économie globalisée.
L’incertitude maximale plane désormais sur le devenir de cette mesure au-delà du 22 juin. Le gouvernement congolais navigue entre deux écueils : prolonger la suspension risquerait de pénaliser durablement la crédibilité du pays auprès des investisseurs miniers, tandis qu’un retour à l’exportation massive pourrait anéantir la fragile remontée des cours. « Le calendrier est crucial, analyse Thérèse Bazibuha, économiste spécialiste des matières premières. Si la réouverture coïncide avec la reprise de la production indonésienne, l’effet ciseau pourrait faire replonger les prix sous les 25 000 dollars. »
Quelles seraient les conséquences d’une prolongation pour l’économie minière RDC ? À court terme, les pertes fiscales directes dépassent déjà 200 millions de dollars, selon les calculs de la Banque centrale. Plus inquiétant encore, plusieurs projets d’expansion minière sont mis en pause, gelant des investissements estimés à 1,2 milliard de dollars. Cette paralysie partielle touche particulièrement les provinces du Lualaba et du Haut-Katanga, où le cobalt représente jusqu’à 40% des recettes locales.
L’avenir cobalt RDC se joue ainsi sur un double front : la maîtrise des volumes exportés et la captation de plus de valeur ajoutée locale. La construction d’usines de raffinage, promise depuis des années, reste le talon d’Achille de la stratégie nationale. Actuellement, moins de 15% du cobalt congolais est transformé sur place avant exportation, privant le pays de précieuses marges industrielles. « Sans montée en gamme, la suspension n’est qu’un sparadrap sur une jambe de bois », déplore un négociant de Lubumbashi.
À quinze jours de l’échéance, les opérateurs miniers scrutent les signaux faibles émanant de Kinshasa. Une décision définitive interviendra-t-elle avant le 22 juin ? Dans l’affirmative, intégrera-t-elle des mécanismes de régulation plus subtils que la fermeture pure ? Les réponses à ces questions dessineront la trajectoire du métal bleu pour le second semestre 2024 et au-delà. Une certitude demeure : dans l’équation complexe du cobalt, la RDC conserve les clés du coffre, mais doit encore apprendre à en maîtriser toutes les combinaisons.
Article Ecrit par Amissi G
Source: Actualite.cd