La tension géopolitique dans l’Est congolais franchit un seuil critique avec les récentes accusations de Kinshasa contre Kigali. Alors que la rébellion du M23, soutenue par le Rwanda selon les rapports onusiens, contrôle de vastes territoires du Nord et Sud-Kivu, une nouvelle bataille démographique se jouerait dans l’ombre. Le vice-premier ministre Jacquemain Shabani a dénoncé vendredi une opération systématique de « transplantation de populations étrangères » dans les territoires occupés de Rutshuru et Masisi, qualifiant cette stratégie de prélude à une épuration ethnique.
Lors d’un briefing à Kinshasa, le ministre de l’Intérieur a révélé avoir sollicité le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) pour réactiver d’urgence la tripartite RDC-Rwanda-HCR, cadre légal censé réguler les flux migratoires transfrontaliers. « Nous devons clarifier cette situation qui nous met dans beaucoup d’inquiétudes par rapport à nos populations », a-t-il insisté, soulignant le paradoxe des déplacés congolais du Nord-Kivu retrouvant leurs habitations occupées par des « personnes venues d’ailleurs ».
Ce scénario rappelle étrangement les mécanismes des conflits identitaires ayant ensanglanté la région des Grands Lacs. Shabani décrypte une manœuvre à double détente : tandis que des réfugiés rwandais installés depuis des décennies en RDC sont incités au retour sous prétexte d’insécurité, Kigali profiterait du chaos pour implanter ses nationaux dans les zones conquises par le M23. Plus troublant encore, des Congolais seraient déportés vers des « destinations inconnues » sous le fallacieux argument de la lutte contre les FDLR.
La demande de tripartite n’est pourtant pas nouvelle. Déjà en février 2023, le président Tshisekedi en réclamait la tenue « urgente » devant le Conseil des Droits de l’Homme à Genève. Un an et demi plus tard, l’immobilisme persiste malgré les 209 000 réfugiés rwandais officiellement recensés en RDC contre 81 000 Congolais au Rwanda. Comment expliquer cette inertie institutionnelle face à ce qui s’apparente à une recomposition démographique forcée ? Les récentes opérations de rapatriement depuis Goma, menées sous contrôle du M23, interrogent sur la neutralité des mécanismes humanitaires.
L’occupation militaire du M23 servirait ainsi de paravent à une ingénierie sociale aux conséquences irréversibles. Chaque colline « repeuplée » consoliderait l’emprise rwandaise sur ces territoires stratégiques, transformant la crise des déplacés du Nord-Kivu en arme géopolitique. Le HCR se trouve pris en tenaille entre son mandat humanitaire et les réalités d’un conflit où les frontières entre réfugiés et colons s’estompent dangereusement.
Cette stratégie du fait accompli démographique pose une question fondamentale : jusqu’où la communauté internationale tolérera-t-elle la transformation de l’Est congolais en laboratoire des recompositions territoriales par la force ? La réactivation de la tripartite apparaît comme le dernier rempart juridique contre une épuration ethnique silencieuse. Mais face aux atermoiements, Kinshasa pourrait bien être contraint de porter ce dossier explosif devant la Cour pénale internationale, transformant une crise humanitaire en imbroglio judiciaire international.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd