Dans un contexte où les conflits fonciers au Nord-Kivu continuent d’alimenter violences et déplacements, le lancement à Beni du projet « Appui à la réforme des politiques publiques » par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) intervient comme une tentative audacieuse de transformation structurelle. Cette initiative, dévoilée le 17 juin dernier dans le chef-lieu provisoire de la province, ambitionne-t-elle réellement d’apporter une solution pérenne aux tensions qui minent la région depuis des décennies ?
Porté par un financement onusien, le programme cible la stabilisation du Nord-Kivu par une refonte complète des dynamiques territoriales. La présence conjointe des autorités provinciales, chefs coutumiers, organisations féminines et représentants de la société civile lors de la cérémonie officielle révèle l’urgence d’une approche multisectorielle. Docky Muheza, expert en gouvernance foncière au Congo pour le PNUD, a pointé sans détour les racines du mal : « Le dilemme sécuritaire, la dualité des pouvoirs entre institutions modernes et traditionnelles, et une instrumentalisation identitaire de la terre créent un cocktail explosif ». Ces fractures, souligne-t-il, exacerbent particulièrement les vulnérabilités des femmes et des jeunes, transformant le foncier en champ de bataille silencieux.
Le projet PNUD Beni dépasse ainsi la simple logique technique pour s’attaquer aux enjeux politiques cruciaux. Kissa Kayobera, coordonnateur administratif provincial, y voit un « levier décisif de pacification » : « Cette réforme contribuera à la réduction des violences par une gouvernance foncière légitimée ». Une affirmation qui soulève cependant des questions sur la capacité à concilier des intérêts historiquement antagonistes. La réussite de cette réforme foncière en RDC repose en effet sur un pari risqué : l’adhésion active des chefs traditionnels, gardiens des terres coutumières, et des organisations de base souvent marginalisées dans les processus décisionnels.
Les déclarations enthousiastes masquent-elles les écueils prévisibles ? L’histoire récente de la région montre que toute tentative de réorganisation foncière bute sur la persistance des milices, la porosité des frontières agraires et la compétition pour les ressources minières. Le projet table pourtant sur une transformation « durable » des mentalités, impliquant un rééquilibrage des pouvoirs locaux. Les associations féminines présentes à Beni ont d’ailleurs rappelé que 72% des litiges fonciers les concernent directement – un chiffre qui interroge l’efficacité des mécanismes existants.
Si l’architecture du projet semble solide, sa mise en œuvre se heurtera inévitablement aux réalités du terrain. La dualité des systèmes juridiques – droit positif contre droit coutumier – constitue un nœud gordien que les bailleurs internationaux peinent à trancher depuis des années. Les autorités provinciales jouent ici leur crédibilité : un échec de cette réforme aggraverait la défiance des populations envers des institutions déjà perçues comme défaillantes. L’appel à la mobilisation des « forces vives » sonne comme un aveu implicite des résistances attendues.
L’avenir de la stabilisation au Nord-Kivu passe désormais par cette audacieuse refonte foncière. Mais gare aux mirages technocratiques : sans un règlement parallèle des enjeux sécuritaires et une véritable décentralisation des pouvoirs, ce projet ambitieux pourrait n’être qu’un énième cautère sur une jambe de bois. La prochaine étape ? Transformer les déclarations d’intention en actions concrètes sur un territoire où chaque hectare disputé raconte une guerre larvée.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net