Le fleuve Congo étouffe sous le poids des promesses électriques. Dimanche, des pêcheurs issus de dix territoires du Kongo-Central ont brandi l’étendard de la révolte contre le projet de barrage Inga 3. Leur communiqué, un véritable cri du cœur adressé à Radio Okapi, dépeint une situation environnementale au bord du précipice. Ces gardiens des eaux redoutent que ce titan énergétique ne réveille les vieux démons des barrages Inga 1 et 2, ces cicatrices encore béantes dans l’écosystème local.
Quel prix les communautés riveraines devront-elles payer pour ces mégawatts tant convoités ? Les pêcheurs, sentinelles ignorées du fleuve Congo, dressent un bilan accablant : baisse drastique des stocks halieutiques, courants déréglés, et biodiversité aquatique sacrifiée sur l’autel du développement. Leurs filets se vident tandis que les promesses gouvernementales s’emplissent de chiffres mirifiques. Comment la RDC peut-elle prétendre incarner le “pays solution” climatique tout en sabotant ses propres poumons bleus ?
Cette protestation tonne comme un coup de semonce une semaine après le déblocage par la Banque mondiale de 250 millions de dollars. Ironie cruelle : ces fonds destinés aux études de faisabilité d’Inga 3 devront justement évaluer les impacts sociaux et environnementaux que les pêcheurs dénoncent déjà avec une clairvoyance douloureuse. Le projet, présenté comme la clé d’une transition énergétique ambitieuse, vise à faire passer le taux d’électrification national de 21% à plus de 60% d’ici 2030. Mais à quel coût écologique ?
La mémoire des eaux est longue. Les pêcheurs rappellent que les fantômes d’Inga 1 et 2 hantent toujours le bassin du Congo. Ces barrages, présentés en leur temps comme des miracles technologiques, ont déchiré le tissu socio-écologique local. Aujourd’hui, le scénario semble se rejouer en accéléré. Les 2 à 11 gigawatts promis pour alimenter le Kongo-Central, Kinshasa et exporter vers l’Afrique du Sud représentent-ils vraiment un progrès si les générations futures héritent d’un fleuve moribond ?
Lors d’un atelier sur l’avenir de la pêche, ces voix longtemps étouffées ont trouvé un écho. Leur interpellation directe au président Félix Tshisekedi résonne comme un ultimatum : la RDC peut-elle bâtir sa légende énergétique sur la destruction des ressources qui nourrissent des milliers de familles ? La transition juste qu’ils réclament n’est pas un slogan, mais une condition de survie. Car sans poissons, sans fleuve vivant, quelle identité restera-t-il au Congo profond ?
Les impacts environnementaux du projet Inga 3 s’annoncent dévastateurs. Le bassin du Congo, deuxième poumon vert de la planète après l’Amazonie, voit son système hydrique menacé par ces infrastructures colossales. Les pêcheurs, premiers témoins des bouleversements invisibles, sonnent l’alarme : turbidité des eaux, modification des courants, disparition d’espèces endémiques. Autant de blessures infligées à un écosystème déjà fragile.
La protestation des communautés du Kongo-Central ouvre un front crucial dans le débat sur l’avenir énergétique du Congo. Leur combat dépasse la simple défense des intérêts locaux : il questionne l’âme même du développement. Peut-on vraiment parler de progrès quand il se construit sur la mort lente d’un fleuve ? Alors que la Banque mondiale mise sur Inga 3 comme pilier de la transition énergétique africaine, ces pêcheurs rappellent une vérité élémentaire : aucune kilowatt-heure ne vaut la vie d’un écosystème.
Article Ecrit par Miché Mikito
Source: radiookapi.net
