« Je vois la population se nourrir de semoule donnée par les ONG, alors qu’avant, Kwamouth se nourrissait par son propre travail. » La voix nouée d’émotion, Stany Libie, chef coutumier à Kwamouth, résume le drame qui frappe ce territoire du Mai-Ndombe. Trois années de terreur imposée par les miliciens Mobondo ont transformé cet ancien grenier à blé de la RDC en un champ de ruines économiques et sociales. Comment une région si fertile a-t-elle pu sombrer dans une telle dépendance alimentaire ?
Le contraste est saisissant avec le passé glorieux décrit par les anciens. Avant juin 2022, les villages de Fadiaka, Falio ou Kinsele grouillaient d’activité. Leurs champs produisaient en abondance le maïs, le manioc et les arachides qui alimentaient Kinshasa, Bandundu et les localités voisines. La fameuse « Kwanga Bateke », cette chikwangue réputée, inondait les marchés. Aujourd’hui, les routes menant aux forêts sont désertes, les champs méthodiquement sabotés, les marchés fantomatiques. Les mots-clés « crise Kwamouth » et « insécurité Mai-Ndombe » ne suffisent plus à décrire l’ampleur du désastre.
Guy Musomo, député national élu de la région, pointe du doigt l’étouffement économique causé par les miliciens Mobondo : « Tous les champs sont occupés. Comment peuvent-ils avoir de l’argent ? Rien ne tourne, la population souffre. » Son témoignage révèle l’engrenage infernal : privés de leurs terres, les paysans ne peuvent plus vendre leurs récoltes. Sans revenus, les ménages s’effondrent. Les charges quotidiennes – scolarité, santé, logement – deviennent des montagnes infranchissables. La « famine Kwamouth » n’est plus une menace, mais une réalité cruelle qui creuse les visages.
Les conséquences humaines sont tout aussi dévastatrices. Plus de 1 095 jours de violence ont jeté sur les routes des milliers de « déplacés agricoles RDC », contraints d’abandonner leurs villages comme Bokala ou Boku. Seule la cité de Kwamouth, chef-lieu du territoire, résiste encore, devenue un refuge précaire où s’entassent les familles déracinées. Le fleuve Congo et la rivière Kwango, jadis sources inépuisables de poissons, longent désormais des rives désolées où même la chasse a cessé dans les forêts de Kimomo.
Cette paralysie interroge notre mémoire collective. Comment une région si vitale pour la sécurité alimentaire du pays a-t-elle pu être abandonnée à son sort ? Les témoignages des habitants trahissent une amertume profonde. « La population est résiliente, forte et travailleuse. Mais aujourd’hui, elle est abandonnée », insiste le député Musomo, la colère au bord des larmes. Les « miliciens Mobondo » ne sont pas seulement des fauteurs de troubles : ils ont systématiquement détruit un écosystème agricole qui mettra des années à renaître.
Trois ans après le début du cauchemar, Kwamouth incarne l’urgence d’une réponse globale. Au-delà des opérations militaires, c’est la renaissance économique de ce territoire qui doit mobiliser les autorités. Car chaque jour sans solution aggrave les plaies d’une population qui ne demande qu’à retrouver sa dignité : celle de cultiver sa terre et de nourrir sa famille sans avoir tendre la main. Le semoule des ONG sauve des vies aujourd’hui, mais seul le retour à l’autosuffisance redonnera à Kwamouth sa fierté perdue.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
