La veste froissée, tachée du sang séché d’un sacrifice ultime, trônait devant l’autel de la basilique romaine. Cette simple veste de coton, relique poignante du martyr Floribert Bwana Chui, captait tous les regards lors de la cérémonie de béatification qui a rassemblé des milliers de fidèles venus spécialement de République Démocratique du Congo. Parmi eux, Joséphine, 32 ans, essuyait ses larmes : « Cette veste, c’est notre drapeau à nous, jeunes Congolais fatigués de courber l’échine. Floribert nous montre qu’on peut dire non, même quand ça coûte la vie. »
Dimanche 15 juin, depuis la place Saint-Pierre, le pape Léon XIV a officiellement salué cette béatification historique, soulignant le courage de ce jeune martyr congolais. « Qu’il puisse être un modèle de courage et d’espérance pour les jeunes de la République Démocratique du Congo et de toute l’Afrique », a déclaré le souverain pontife lors de l’Angélus. Un message fort dans un continent où des milliers de Floribert luttent quotidiennement contre les injustices systémiques.
Qui était donc ce héros sanctifié par le Vatican ? Floribert Bwana Chui, laïc chrétien de Goma, fut assassiné à 26 ans pour avoir refusé de fermer les yeux sur des trafics illicites. Agent de contrôle de qualité au port de Goma, il bloqua délibérément un chargement de denrées avariées destinées à la consommation publique. Son refus catégorique de céder aux pressions et aux pots-de-vin lui coûta la vie en juillet 2007, faisant de lui un « martyr de l’honnêteté et de l’intégrité morale » selon les termes officiels du Vatican.
La cérémonie de béatification à Rome a pris des allures de pèlerinage panafricain. Menée par le cardinal Marcello Semeraro, préfet du Dicastère des Causes des Saints, elle réunissait des figures majeures de l’Église congolaise comme le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, et Mgr Willy Ngumbi, évêque de Goma. Une délégation gouvernementale témoignait de l’importance nationale de l’événement, tandis que les membres de la Communauté de Sant’Egidio – mouvement auquel appartenait Floribert – scandaient des hymnes en swahili.
Le moment le plus bouleversant survint lorsque le portrait du bienheureux fut dévoilé, suivi de l’exposition de la veste martyre. Ce vêtement ordinaire, transformé en symbole sacré, fut placé devant l’autel dans un halo de bougies et de fleurs tropicales. Comment ne pas voir dans cette relique modeste un puissant réquisitoire contre la corruption endémique ? Dans une Afrique où 60% de la population a moins de 25 ans, ce jeune homme intègre devient un repère spirituel inattendu.
« Sa béatification arrive à point nommé », analyse le père Richard Mulumba, théologien kinois présent à Rome. « Alors que notre jeunesse congolaise est tiraillée entre l’exil et la résignation, Floribert leur rappelle que leurs combats quotidiens ont une dimension sacrée. Refuser un pot-de-vin, dénoncer un abus, protéger les plus faibles : ces gestes apparemment petits participent d’une révolution éthique. »
Le chemin vers la reconnaissance officielle fut long. Seize années se sont écoulées depuis son assassinat, seize années pendant lesquelles sa mémoire fut pieusement entretenue dans les communautés chrétiennes de l’Est congolais. Aujourd’hui, sa béatification par le pape Léon XIV donne une résonance mondiale à son sacrifice, transformant un drame local en parabole universelle.
Quel impact cette consécration aura-t-elle sur le terrain ? À Goma, des veillées spontanées se sont organisées devant la maison familiale du martyr. Des étudiants ont lancé le mouvement « Les Chemises Propres », promettant de résister à la corruption à leur échelle. « Floribert n’avait ni arme ni pouvoir, juste sa conscience », rappelle Lucie, 19 ans, membre du mouvement. « Si lui a pu changer le cours des choses, pourquoi pas nous ? »
La force de ce jeune martyr africain réside peut-être dans son extraordinaire normalité. Ni prêtre ni moine, mais un simple citoyen dont la foi s’exprima dans des choix concrets au cœur de la cité. Alors que la RDC traverse une période cruciale de son histoire, ce fils du Kivu béatifié à Rome offre soudain à toute une génération un visage saint qui leur ressemble.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net