Des déplacés laissés pour compte à Goma, des enfants soldats recrutés au Nord-Kivu, un pillage économique orchestré par la guerre, des écoles fermées, la pluie qui ronge Kinshasa—et sur tout cela, le même mot résonne : urgence. Cette semaine, jamais la tragédie de l’Est n’a paru aussi profonde. Et pourtant perce aussi, à travers la crise, un refus de l’abandon. Que nous reste-t-il face au chaos ?
Jour après jour, l’actualité congolaise martèle une réalité devenue insoutenable : à l’Est, le conflit s’enlise, exactions et déplacements s’aggravent, sur fond de paralysie institutionnelle et d’espoirs de paix toujours différés. À Saké, plus de 150 jeunes arrêtés lors d’un bouclage signé M23, une opération qui alarme les défenseurs des droits humains autant que les familles. Pendant ce temps, à Goma ou Fizi, ce sont des centaines de milliers de déplacés qui réclament—en vain—une évacuation, une assistance, un simple abri. Des cris dans l’indifférence, alors même que la représentante de l’ONU sur place, Bintou Keita, admet ne pouvoir répondre tant qu’aucun compromis n’est trouvé entre le pouvoir et la rébellion.
L’enfer humanitaire n’a pas de bornes : l’alimentation s’effondre, la malnutrition chronique explose (jusqu’à un enfant sur deux en Ituri !), l’accès à la santé se détériore. À Gbadolite, c’est le noir total depuis huit mois. Partout, l’eau se raréfie ou se pollue. L’école, elle, devient un rêve inaccessible pour plus de 600 000 enfants, exilés par les combats ou otages de la pluie et des destructions. Les enseignants s’accrochent, parfois sans salaire, d’autres sont retrouvés morts en détention. Le cercle vicieux est total : la pauvreté nourrit la violence et la violence achève de ruiner l’avenir de tout un peuple.
Ce drame s’inscrit dans un contexte d’impasse diplomatique. Le Rwanda, après avoir quitté la CEEAC pour cause d’exigence de redevabilité sur son implication dans le Kivu, prend aujourd’hui la tête du RECSA, narguant la RDC. Les États-Unis, la Monusco, la France semblent s’épuiser à tenir une médiation qui piétine : le calendrier d’un accord bute sur le refus d’un retrait réel des forces rwandaises, tandis que la vie des Congolais pèse peu face aux calculs géopolitiques. Les sanctions économiques, la rectification budgétaire, la guerre sur les marchés autant que sur le terrain minier—rien ne vient desserrer l’étau.
Face à ce péril, l’État tente de se réorganiser : conférence des gouverneurs (Tshisekedi enjoint à consacrer 15% des budgets à la santé), réforme policière votée, chantiers symboliques lancés. Mais ces annonces, aussi nécessaires soient-elles, peinent à masquer la défiance grandissante à l’endroit de la gouvernance. À l’Assemblée comme devant la justice (affaires Mutamba, Kazadi), débats houleux, soupçons de corruption, coups de force institutionnels se multiplient, révélant une démocratie sous tension et une société assoiffée de justice. De la base, pourtant, des signaux encourageants surgissent : engagement des chefs traditionnels contre la violence basée sur le genre, trêves communautaires inédites dans la Tshopo, béatification flamboyante de Floribert Bwana Chui comme martyr de l’honnêteté face à la corruption. Dans l’accablement collectif, la résilience citoyenne continue d’opposer un “non” vibrant à la fatalité.
La République Démocratique du Congo ne peut plus se contenter de survivre à ses crises. Au-delà des dialogues de façade et des budgets d’exception, il est temps de mettre en œuvre sans délai des mesures concrètes : protection effective des civils, assistance massive et transparente aux déplacés, relance du système éducatif et sanitaire par des budgets sanctuarisés, lutte résolue contre l’impunité et la corruption. Sans cela, c’est toute une génération qu’on sacrifie. Face à la tempête, notre société doit exiger la vérité, la justice, et la solidarité effective—pour tourner enfin la page du chaos et renouer avec l’espoir. Mobilisons-nous pour rompre le cercle fatal, là où tant de héros ordinaires, chaque jour, tiennent encore debout.
— La Rédaction de CongoQuotidien