Alors que Washington s’érige en arbitre du conflit opposant la RDC au Rwanda, une silhouette familière de la diplomatie congolaise évolue discrètement dans les couloirs du pouvoir américain. Kikaya Bin Karubi, l’alter ego de Joseph Kabila, mène une mission d’explication cruciale auprès des décideurs américains, dans un timing qui interroge. Sa présence coïncide avec les pourparlers de paix initiés par les États-Unis, mais aussi avec la visite de l’opposant Moïse Katumbi, créant un étrange ballet diplomatique où chaque acteur joue sa partition loin des projecteurs officiels.
« Je suis venu rencontrer les officiels du Congrès, de la Chambre des représentants, du Conseil de sécurité nationale », confie Kikaya Bin Karubi à l’issue d’une série d’entretiens stratégiques. Cette Mission Kikaya Washington, mandatée personnellement par l’ancien chef de l’État, poursuit un objectif clair : légitimer le retour en force de Joseph Kabila sur l’échiquier politique congolais. Le messager, collaborateur historique de Kabila depuis 25 ans, défend avec véhémence le « bien-fondé » de ce come-back qui secoue Kinshasa. Son argumentaire ? Présenter le plan de paix alternatif de son mentor comme l’unique rempart contre « la tyrannie » du régime Tshisekedi.
Cette offensive diplomatique survient dans le sillage du retour spectaculaire de Joseph Kabila à Goma le 26 mai dernier. En choisissant la capitale du Nord-Kivu, zone sous contrôle rebelle et d’influence rwandaise, l’ancien président a envoyé un signal géopolitique lourd de sens. Une décision qui alimente les spéculations sur une possible convergence d’intérêts avec la rébellion M23. « Les objectifs du président Kabila ne sont pas en contradiction avec ceux de la rébellion », ose Kikaya Bin Karubi, dans une formule qui fait frémir les observateurs. Une déclaration troublante qui semble confirmer les pires craintes de Kinshasa sur ce Joseph Kabila retour politique.
Le gouvernement congolais, lui, voit dans cette stratégie une trahison caractérisée. L’Auditorat général près la Haute Cour militaire a formulé des Accusations trahison Kabila d’une gravité inédite : « trahison, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et participation à un mouvement insurrectionnel ». Ces chefs d’inculpation, révélés juste après la levée de son immunité parlementaire, dessinent le portrait d’un homme prêt à toutes les alliances pour reconquérir le pouvoir. La menace d’un mandat d’arrêt international plane désormais comme une épée de Damoclès sur l’ancien président.
Derrière ce Conflit RDC Rwanda qui embrase l’Est du pays, se joue une bataille narrative cruciale. Tandis que Félix Tshisekedi dénonce une « mainmise rwandaise » sur Goma, l’entourage de Kabila conteste farouchement ces allégations. Selon ses proches, l’ancien président, privé de sa garde rapprochée par l’actuel régime, aurait constitué une milice personnelle pour assurer sa sécurité dans la ville en crise. Une affirmation qui soulève d’inquiétantes questions sur la privatisation de la force armée dans une zone déjà minée par les groupes armés.
Les Négociations paix Goma pilotées par Washington peuvent-elles réussir dans ce climat d’intenses rivalités domestiques ? La présence simultanée de Kikaya et Katumbi sur le sol américain suggère que les véritables tractations se déroulent en marge des canaux officiels. Les diplomates s’interrogent : Joseph Kabila cherche-t-il à torpiller le processus de paix pour mieux imposer sa propre feuille de route ? Ou tente-t-il simplement de prévenir son inculpation en jouant la carte de la légitimité politique ?
Cette mission d’influence menée à Washington révèle les fractures béantes de la classe politique congolaise. Alors que les Américains tentent de bâtir un accord durable entre Kigali et Kinshasa, l’ombre de Kabila plane sur les discussions, rappelant que toute solution négligeant les dynamiques internes congolaises serait vouée à l’échec. Le prochain acte de ce drame politique se jouera peut-être moins dans les salles de conférence diplomatique que dans les rues de Goma, où l’ancien président a choisi d’installer son QG de résistance. Une chose est certaine : le retour de Kabila a déjà réussi à faire de l’Est du Congo l’épicentre d’une nouvelle guerre froide africaine.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd