Le corps de son père entreposé à la morgue de l’hôpital général de Gbadolite a commencé à se décomposer avant même les obsèques. « Nous avons dû l’enterrer dans la précipitation, sans veillée funèbre », raconte, la voix nouée, un habitant du chef-lieu du Nord-Ubangi. Cette scène insoutenable résume le drame vécu depuis huit mois par cette ville frontalière de la Centrafrique, privée d’électricité après l’inondation dévastatrice du barrage de la centrale hydroélectrique de Mobayi Mbongo survenue le 23 octobre 2024.
Dans cet hôpital de référence, la pénurie d’électricité à Gbadolite a transformé la morgue en simple local de stockage. « Sans système de réfrigération, les corps se décomposent en moins de 24 heures sous cette chaleur », explique une infirmière sous couvert d’anonymat. Les familles n’ont d’autre choix que d’accélérer les enterrements, brisant ainsi les rituels de deuil traditionnels. Comment une ville entière peut-elle basculer ainsi dans un Moyen Âge énergétique au 21ème siècle ?
La crise énergétique à Gbadolite étouffe progressivement toutes les activités économiques. Le long des artères principales, les ateliers d’ajustage et de soudure ont baissé leurs rideaux. Les propriétaires de bars et restaurants survivent péniblement grâce à des groupes électrogènes au coût prohibitif. « Le gasoil consomme 80% de nos recettes », se désole Marcel, tenancier d’un maquis populaire. Cette paralysie progressive du tissu économique local plonge des milliers de familles dans une précarité inédite.
Taima Tailor, président de la société civile du Nord-Ubangi, alerte sur l’urgence humanitaire : « La vie est devenue intenable à Gbadolite. Sans éclairage public, l’insécurité grandit. Les centres de santé ne peuvent plus stériliser le matériel médical. Les élèves étudient à la lueur des lampes-tempête. » Ces témoignages illustrent l’effondrement en cascade des services essentiels dans cette région oubliée de la RDC.
Face à cette situation catastrophique, la SNEL Nord-Ubangi semble impuissante. Maurice Ewango, directeur local, confirme que des équipes techniques dépêchées depuis Kinshasa et Inga n’ont pu réhabiliter le barrage endommagé. « Les dégâts sont plus importants que prévu », reconnaît-il, sans fournir d’échéance pour une éventuelle reprise du service. Cette incapacité à résoudre la crise interroge sur la gestion des infrastructures stratégiques dans les provinces éloignées de la capitale.
Cette panne prolongée révèle la vulnérabilité énergétique de la RDC, pourtant dotée d’un immense potentiel hydroélectrique. Alors que le pays ambitionne de devenir le grenier énergétique de l’Afrique, des villes entières restent plongées dans l’obscurité pendant des mois. L’inondation du barrage de Mobayi Mbongo pose aussi la question de la maintenance préventive et de l’adaptation au changement climatique.
Derrière les chiffres et les déclarations officielles, c’est le quotidien de 200 000 habitants qui se transforme en parcours du combattant. Les femmes accouchent à la lampe torche, les vaccins perdent leur chaîne du froid, les petits commerçants s’endettent. Cette crise énergétique à Gbadolite illustre tragiquement comment un seul équipement défaillant peut précipiter toute une région dans un cercle vicieux de pauvreté et de désolation. Combien de temps encore faudra-t-il attendre avant que la lumière ne revienne dans cette ville sacrifiée ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
