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(Dossier)Cobalt : la RDC doit-elle prolonger l’interdiction d’exportation brute ?

Le 22 juin 2025, le ministère congolais des Mines annoncera s’il prolonge ou non la suspension, décrétée en février, des exportations de concentrés de cobalt. Cette décision pèsera lourd : le pays fournit encore 76 % de la production mondiale, mais la concurrence indonésienne s’accélère, tandis que les cours, retombés à 33 335 USD/t le 12 juin après un bref rebond de printemps, restent imprévisibles. Entre impératif de valeur ajoutée locale, urgence budgétaire et bras de fer géopolitique, Kinshasa se trouve à la croisée des chemins.


1. Retour sur un outil vieux de dix ans

La RDC a déjà utilisé l’« export ban » à plusieurs reprises : tentative avortée en 2013, relance limitée en 2019, puis suspension de quatre mois annoncée le 19 février 2025 pour soutenir les prix et contraindre les grandes mines – pour la plupart sino-congolaises – à raffiner sur place. L’interdiction actuelle concerne les concentrés et hydroxydes titrant moins de 30 % de Co. Elle expire officiellement le 22 juin, mais le gouvernement a prévenu qu’« aucune option n’est exclue ».

2. Volatilité persistante des cours : pari réussi ?

Le cobalt a touché un plus-bas décennal de 27 000 USD/t fin 2024 avant de regagner près de 25 % au premier trimestre, tiré par un sursaut de la demande de batteries LFP-cobalt mix. L’effet prix du ban, difficile à isoler, a toutefois permis à plusieurs exploitants artisanaux de vendre leur minerai 15 % plus cher sur les comptoirs de Kolwezi. Signe que le pari de soutien du marché n’est que partiellement rempli : Trading Economics note un recul de 1 % depuis début mai, le surplus mondial demeurant proche de 15 kt.

3. L’ombre longue de l’Indonésie

Pendant que Kinshasa ferme le robinet, Jakarta l’ouvre en grand. Déjà deuxième producteur mondial, l’Indonésie a annoncé qu’elle doublera sa capacité de cobalt d’ici 2027 grâce à de nouveaux HPAL adossés aux complexes nickel-cobalt de Sulawesi. Or ces usines sortent directement de la « sulfate line », le produit préféré des fabricants de cathodes chinois. Résultat : la part de marché congolaise, encore 79 % en 2022, pourrait tomber sous les 65 % en 2027, selon l’Institut du cobalt. En gardant son minerai bloqué aux frontières, la RDC risque donc de creuser l’écart.

4. Pressions de l’industrie et risque de fuite des capitaux

Les groupes CMOC, Glencore ou Chemaf ont multiplié les sorties publiques pour demander la levée de l’embargo ou, a minima, un régime de quotas qui sécurise leurs contrats long terme. Depuis mars, près de 8 000 t de concentré s’entassent dans les entrepôts douaniers de Kasumbalesa ; la majorité est sous contrat d’achat par des raffineurs chinois, qui menacent de réduire leurs pré-paiements en dollars, une source cruciale de devises pour la Banque centrale.

5. Où en est la chaîne de valeur locale ?

Le gouvernement justifie le ban par la nécessité d’achever trois unités hydrométallurgiques :

  • Tenke Fungurume & Kisanfu (CMOC) : conversion progressive du concentré en hydroxide qualité batterie, capacités combinées : 120 kt Co/an
  • Projet Buenassa-Lualaba : raffinerie cuprifère-cobalt de 40 kt prévue pour 2027
  • Zone économique spéciale de Lubumbashi : appel d’offres pour une usine de sulfate de cobalt, soutenu par la BAD.

Ces chantiers avancent, mais la plus grosse usine – Buenassa – n’a pas encore posé sa première pierre ; imposer un ban avant la disponibilité des capacités de raffinage crée un goulet d’étranglement coûteux.

6. Impacts macro-budgétaires et sociaux

Le cobalt fournit près de 18 % des recettes minières de l’État. Or la suspension de quatre mois a déjà amputé d’environ 140 M USD les royalties enregistrées au 1ᵉʳ semestre, selon les calculs du ministère du Budget présentés à la DRC Mining Week le 12 juin. Dans le Haut-Katanga, l’activité des négociants informels a baissé de 30 % ; les coopératives artisanales comme COMIAKOL dénoncent une chute des salaires journaliers à 4 USD, contre 6 USD en janvier. À plus long terme, le raffinage local créerait des emplois semi-qualifiés mieux payés, mais ce « dividende social » n’interviendra qu’après 2027.

7. Environnement et traçabilité : atout ou handicap ?

Les constructeurs de véhicules électriques d’Europe, soumis au nouveau Règlement batteries, exigent des chaînes d’approvisionnement à faible intensité carbone. Or le raffinage in situ offrirait un mix électrique dominé par l’hydroélectricité d’Inga, potentiellement trois fois moins émetteur que les HPAL indonésiens alimentés au charbon. L’argument est puissant, mais il suppose d’investir dans des contrôles ESG crédibles ; l’Autorité congolaise de certification minière (CEEC) dispose d’un budget annuel inférieur à 4 M USD.

8. Trois scénarios sur la table

ScénarioMesure phareGains potentielsRisques principaux
A. Prolongation pure et simple (12 mois)Export ban maintenu jusqu’en juin 2026Soutien de prix > 35 000 USD/t, levier de négociation avec PékinPerte de recettes > 350 M USD, risque de contournement via Zambie
B. Quotas modulablesAutoriser 50 % des volumes 2024, lié à l’avancement des raffineriesFlux de devises partiellement rétabli, incitation progressive au raffinageComplexité administrative, création d’une rente de courtage
C. Levée conditionnelleFin du ban mais taxe à l’export + obligations ESGRevenus fiscaux immédiats, accalmie avec investisseursPression baissière sur les prix, moindre +value locale

Analystes de Fastmarkets et S&P Commodity Insights jugent que le scénario B est « le plus probable », Kinshasa envisageant un quota hebdomadaire couplé à un registre de traçabilité numérique.

9. Variables extérieures : dollar, Chine, États-Unis

La Maison-Blanche pousse un « minerals partnership » avec la RDC pour sécuriser l’accès américain, tandis que Pékin, via CMOC, multiplie les promesses d’investissements sociaux. Un prolongement du ban, perçu comme hostile par les raffineurs chinois, pourrait pousser ces derniers à s’approvisionner davantage en Indonésie. À l’inverse, une levée brutale fragiliserait la stratégie de réindustrialisation chère au président Tshisekedi. Le timing tombe au pire moment : le Franc congolais s’est déprécié de 8 % depuis janvier, rendant les recettes minières plus cruciales que jamais.


Conclusion : la quadrature du cobalt

En théorie, maintenir le ban garantirait un prix plancher et forcerait l’industrie à investir plus vite dans le raffinage local, alignant la RDC sur le modèle indonésien du nickel. En pratique, le pays n’a pas encore les usines, ni les finances publiques, ni les outils de contrôle pour supporter une fermeture prolongée. Une formule hybride – quotas d’exportations décroissants, taxation incitative et calendrier juridique clair – apparaît comme le compromis le plus réaliste. Elle ménagerait les recettes à court terme, tout en donnant de la visibilité aux investisseurs industriels et aux artisans qui vivent du cobalt. Le 22 juin, Kinshasa ne tranchera donc pas seulement une question commerciale ; elle redéfinira sa place dans la future chaîne de valeur des batteries, entre Jakarta et Pékin. Les dés sont loin d’être jetés, mais le temps presse : chaque tonne bloquée aujourd’hui est une part de marché que l’Indonésie s’empresse de saisir.

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