La nuit du 7 juillet 2007, Floribert Bwana Chui, jeune fonctionnaire de 26 ans à l’Office congolais de contrôle, scellait son destin d’un « non » retentissant. Face à des cargaisons de nourriture avariée menaçant des vies, il refusa obstinément le pot-de-vin qui lui aurait permis de fermer les yeux. « Pour cela, il a été torturé et tué », rappelle aujourd’hui la communauté Sant’Egidio en RDC, dont il était membre. Quel prix pour l’intégrité dans un pays miné par la corruption ?
Dix-sept ans après ce crime, l’Église catholique élève cet acte de résistance au rang de martyre. Le 15 juin à Rome, Floribert deviendra le quatrième bienheureux congolais, béatifié pour son refus héroïque de laisser passer des denrées putréfiées à la frontière Rwanda-RDC. Une reconnaissance tardive mais éclatante : en novembre 2024, le pape François a officiellement salué en lui un « martyr de l’honnêteté et de l’intégrité morale », dénonçant au passage ce culte de l’argent qui « pollue l’avenir de l’Afrique ».
Derrière les ors du Vatican, c’est le drame quotidien des Congolais qui ressurgit. Floribert, simple douanier à Goma, avait compris que ces tonnes de nourriture pourries – acceptées contre bakchich par d’autres – signeraient l’arrêt de mort des plus pauvres. Son assassinat froidement planifié révèle l’ampleur des réseaux mafieux contrôlant les frontières. La communauté Sant’Egidio en RDC insiste : son sacrifice n’était pas religieux, mais éthique. Un geste laïc qui coûta la vie à ce fils du Kivu, formé dès l’enfance aux valeurs chrétiennes.
Lors de sa mémorable visite à Kinshasa en février 2023, le pape avait déjà brandi cet exemple au Stade des Martyrs : « Il aurait pu laisser faire (…) Mais en tant que chrétien, il a choisi d’être honnête. Être honnête, c’est briller le jour ». Ces mots résonnent aujourd’hui comme un défi lancé aux consciences. Dans une RDC où la corruption ronge tous les échelons sociaux, la béatification de Floribert Bwana Chui dépasse le cadre religieux. Et si ce jeune homme devenait le catalyseur d’une insurrection morale ?
La force du symbole est brûlante : là où des fonctionnaires verrouillent des dossiers contre dollars, un modèle surgit. Là où l’impunité règne, un martyr est sanctifié. Pourtant, le combat reste titanesque. L’ONG Transparency International classe toujours la RDC parmi les pays les plus corrompus au monde (166e sur 180 en 2023). Les trafics transfrontaliers, comme celui des denrées avariées, prospèrent dans l’ombre des compromissions.
Alors que les préparatifs de la cérémonie romaine s’accélèrent, Sant’Egidio appelle à faire de Floribert un « rempart contre la pourriture systémique ». Son sang versé serait-il la semence d’une nouvelle intégrité ? Pour des milliers de Congolais épuisés par les combines, ce douanier incorruptible incarne désormais l’espoir têtu que la lumière puisse transpercer les ténèbres. Sa béatification n’est pas un point final, mais un coup de projectile sur les plaies vives d’une nation en quête de rédemption.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
