Dans l’étouffante chaleur de Kisangani, des milliers de regards creusés par la faim se tournent vers un horizon vide d’aide. Le Dr Antoine Lokangila, chef des Affaires humanitaires de la Tshopo, a brisé le silence jeudi dernier : « Nous lançons notre cri d’alarme pour ces 16 380 ménages déplacés qui survivent dans l’oubli. Leur vulnérabilité exige une réponse immédiate ».
Le rapport accablant, établi par des humanitaires ayant sillonné Lubutu, le Maniema et l’Ituri, révèle une réalité glaçante. Ces familles, chassées par les violences de la coalition AFC/M23, ont tout perdu en fuyant Walikale, Mobi, Lubutu et Bisiye. « Ils manquent de tout », martèle Albert Kikuni de l’Agence de développement et de solidarité paysanne, la voix nouée d’émotion. « Comment rester insensible quand des enfants présentent des taux de malnutrition aiguë sévère atteignant 120 ? »
Les cours des maisons d’accueil de Kisangani ressemblent à des camps de la dernière chance. Pas de matelas, pas de casseroles, pas de médicaments. Seule la menace du choléra rôde, profitant de la promiscuité et de l’absence d’hygiène. Une mère de six enfants, serrant contre elle un nourrisson aux côtes saillantes, confie : « Nous dormons à quinze dans une pièce. Depuis trois mois, mes enfants n’ont mangé que des feuilles de manioc ». Son témoignage résonne comme un coup de poing dans le silence complice.
La crise humanitaire qui frappe la Tshopo pose une question brutale : jusqu’où doit s’enfoncer la souffrance pour déclencher l’action ? Les déplacés de Kisangani ne sont pas des statistiques. Ce sont des paysans qui cultivaient leurs champs avant que les rebelles AFC/M23 ne réduisent leurs villages en cendres. Aujourd’hui, leur survie dépend d’un double échec : celui de la protection des civils et celui de l’assistance d’urgence.
Le drame de Lubutu et des zones environnantes illustre l’engrenage infernal qui mine l’est de la RDC : violences armées → exode massif → saturation des villes refuges → crise sanitaire. Kisangani, déjà asphyxiée par ses propres défis, voit sa capacité d’absorption exploser. Les familles d’accueil, héroïques dans leur solidarité, n’ont plus rien à partager.
Les autorités provinciales réclament désespérément l’intervention de Kinshasa et de la communauté internationale. Mais les convois humanitaires se font rares, les fonds d’urgence s’évaporent dans les méandres bureaucratiques. Pendant ce temps, dans les ruelles poussiéreuses où s’entassent les déplacés de la Tshopo, le temps compte double. Chaque jour sans nourriture thérapeutique aggrave l’état des enfants malnutris. Chaque nuit sans moustiquaire expose au paludisme. Chaque heure sans solution hydrique rapproche l’épidémie de choléra.
Cette catastrophe silencieuse à Kisangani est un test pour notre humanité collective. Va-t-on laisser une génération d’enfants se consumer dans l’indifférence ? Les déplacés de la Tshopo n’ont pas fui la mort pour la trouver au bout de l’exil. Leur calvaire exige plus qu’un rapport. Il exige des actes. Avant que la malnutrition ne transforme leurs histoires en nécrologies.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net