Les accusations explosives du vice-Premier ministre Jean-Pierre Bemba contre la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) ont déclenché une onde de choc dans le paysage politique congolais. En qualifiant l’institution religieuse et certains leaders de l’opposition d’acteurs cherchant à « déstabiliser les institutions » et à souhaiter « la mort du Chef de l’État », le ministre des Transports a jeté un pavé dans la mare d’une nation déjà fragilisée par les tensions politiques et l’occupation de l’Est par la rébellion M23.
La réaction de la CENCO, tombée ce jeudi 12 juin 2025, ne s’est pas fait attendre. D’une sécheresse cinglante, l’épiscopat a qualifié les propos de Bemba d’« inepties » et déploré une « légèreté déconcertante » dans des déclarations récurrentes qui « portent atteinte à la réputation » de l’Église catholique. Dans un communiqué incendiaire, la conférence épiscopale souligne que ces sorties médiatiques « risquent de compromettre le climat de confiance nécessaire à la cohésion nationale », posant ainsi un diagnostic sévère sur l’état de la nation.
Plus troublant encore, la CENCO pointe du doigt le silence assourdissant des institutions de la République. « Il est étonnant qu’il n’y ait aucune réaction des Institutions de la République et de sa hiérarchie », s’interroge l’épiscopat, appelant explicitement le Procureur général et l’Assemblée nationale à se saisir du dossier. Cette inertie institutionnelle face à des accusations aussi graves interroge-t-elle sur l’équilibre des pouvoirs ? La menace de saisir la justice, brandie par la CENCO « pour protéger l’opinion contre les manipulations », ajoute une dimension juridique à ce conflit désormais public.
La contre-attaque épiscopale a pris une tournure historiquement chargée lorsque la CENCO a évoqué le passé tumultueux de Bemba : « Veut-il ramener le pays à l’époque où il avait fait tuer des innocents à Kisangani et à Kinshasa ? » Cette référence aux heures sombres du conflit armé transforme le duel verbal en règlement de comptes mémoriel, révélant les fractures non cicatrisées du tissu social congolais. Dans ce contexte, l’affirmation de la CENCO de défendre « sans faillir les valeurs de vérité et de justice » sonne comme un rappel à l’ordre moral face à un pouvoir politique accusé de compromission.
Cette crise survient dans un contexte où l’initiative de paix portée par la CENCO et l’Église du Christ au Congo (ECC), le « pacte social pour la paix », se heurte à un mur d’indifférence gouvernementale. Le régime Tshisekedi, préférant visiblement des solutions externes, considère que l’Église « n’a pas à s’immiscer dans les affaires politiques ». Cette divergence fondamentale sur la gestion de la crise sécuritaire à l’Est, où l’AFC/M23 progresse avec le soutien rwandais, creuse le fossé entre autorités spirituelles et temporelles.
Le choix de Bemba, haut cadre de l’Union sacrée de la nation, d’attaquer frontalement l’épiscopat apparaît comme un calcul politique risqué. À quel jeu joue réellement le vice-Premier ministre ? Cherche-t-il à détourner l’attention des défis sécuritaires ou à tester la solidité des alliances présidentielles ? Ce qui est certain, c’est que ce conflit ouvre une nouvelle brèche dans la recherche déjà complexe de l’unité nationale. Alors que la CENCO appelle le peuple congolais à « ne pas céder aux discours de division », la balle est désormais dans le camp des institutions. Leur réaction, ou leur absence de réaction, dessinera l’avenir immédiat d’une cohésion nationale plus fragile que jamais.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
