L’interception violente du navire humanitaire Madleen par les forces israéliennes le 9 juin 2025, à plus de 200 km des côtes gazaouies, a propulsé sur le devant de la scène internationale le combat de Rima Hassan. Cette eurodéputée franco-palestinienne, figure montante de La France Insoumise, a vu son engagement pour briser le blocus de Gaza se transformer en épreuve personnelle lorsqu’elle a été arrêtée avec l’ensemble de l’équipage du Freedom Flotilla. Comment cette juriste spécialiste des droits des réfugiés s’est-elle retrouvée au cœur d’une crise diplomatique entre l’Europe et Israël ?
Née en 1992 dans le camp de réfugiés de Neirab en Syrie, Rima Hassan porte dans son ADN politique l’héritage du déracinement palestinien. Arrivée en France à l’âge de neuf ans, elle obtient la nationalité française à sa majorité avant de se former au droit international à la Sorbonne. Son parcours académique la mène naturellement à fonder en 2019 l’Observatoire des camps de réfugiés, une ONG documentant les conditions de vie dans les zones de confinement à travers le monde. Cette expérience forge sa conviction : les camps ne sont pas des solutions temporaires, mais des prisons à ciel ouvert où se perpétuent des violations systémiques des droits humains.
Son élection au Parlement européen en juin 2024 sous la bannière de La France Insoumise marque un tournant décisif. Dès son entrée en fonction, elle fait de la cause palestinienne son cheval de bataille, n’hésitant pas à qualifier de « crime contre l’humanité » le blocus imposé par Israël à Gaza depuis 2007. Son soutien au slogan « de la mer au fleuve » lui vaut des attaques virulentes de la droite française, qui l’accuse de soutenir la destruction d’Israël. Pourtant, Rima Hassan défend une solution binationale garantissant l’égalité des droits entre Israéliens et Palestiniens.
La mission du Freedom Flotilla s’inscrit dans cette logique d’action directe. À bord du Madleen, ce cargo affrété par la coalition Break the Siege, Rima Hassan accompagne 350 kg de denrées alimentaires et de matériel médical destinés à la population de Gaza. Le navire, parti de Turquie avec à son bord des activistes de quinze nationalités, vise à défier ouvertement le blocus maritime israélien. Un défi que l’État hébreu prend très au sérieux, comme en témoignent les moyens militaires déployés pour l’interception.
Selon les témoignages des passagers, l’assaut commence dans la nuit du 9 juin par un encerclement du navire par des drones militaires. Des commandos israéliens montent ensuite à bord en hélicoptère, procédant à l’arrestation musclée de l’ensemble de l’équipage en eaux internationales. Le ministère israélien des Affaires étrangères justifie cette opération par la nécessité d’empêcher « la violation délibérée du blocus maritime » et accuse les activistes de liens avec le Hamas. Une accusation que Rima Hassan a toujours fermement rejetée.
La détention de l’eurodéputée déclenche immédiatement une vague de protestations en France. Plus de 150 000 personnes défilent à Paris le 15 juin, scandant « Libérez Rima ! » devant l’ambassade d’Israël. Jean-Luc Mélenchon dénonce « la complicité passive d’Emmanuel Macron », tandis que Manon Aubry, coprésidente du groupe de la Gauche au Parlement européen, exige la suspension de l’accord d’association UE-Israël. Cette mobilisation populaire contraste avec la réaction mesurée des institutions européennes, qui privilégient les canaux diplomatiques discrets pour obtenir la libération des huit détenus refusant l’expulsion volontaire.
L’affaire pose des questions juridiques complexes. Israël reconnaît détenir Rima Hassan au centre de Givon, près de Ramla, mais nie toute violation de son immunité parlementaire, arguant que celle-ci ne s’applique pas en dehors du territoire européen. Les avocats de la Flottille de la liberté dénoncent quant à eux des conditions de détention dégradantes, incluant des pressions psychologiques lors des interrogatoires. « On a projeté à Rima des images des attentats du 7 octobre pendant qu’on l’accusait de soutenir le terrorisme », révèle l’un des conseils juridiques.
Cette arrestation intervient dans un contexte juridique déjà tendu. En janvier 2024, la Cour internationale de Justice (CIJ) avait ordonné à Israël de prendre « toutes les mesures en son pouvoir » pour prévenir les actes de génocide à Gaza et lever les entraves à l’aide humanitaire. La présence de Rima Hassan dans le Freedom Flotilla souligne le fossé entre les décisions de justice internationales et la réalité sur le terrain. Les organisations humanitaires estiment que moins de 200 camions entrent quotidiennement à Gaza, soit cinq fois moins qu’avant le 7 octobre.
Le parcours de Rima Hassan, de l’observatoire des camps à la résistance maritime, symbolise une évolution dans les modes d’action militante. Face à l’inefficacité des canaux diplomatiques traditionnels, une nouvelle génération d’activistes privilégie la désobéissance civile internationale. « Les camps de réfugiés palestiniens existent depuis trois quarts de siècle. Ma présence sur ce navire est un acte politique pour dire que cette situation anormale doit cesser », avait-elle déclaré avant le départ du Madleen.
La réaction israélienne au Freedom Flotilla s’inscrit dans une stratégie plus large de criminalisation de la solidarité internationale avec les Palestiniens. Depuis 2010 et l’assaut meurtrier contre le Mavi Marmara qui avait fait dix morts, Israël a systématiquement recours à la force contre les flottilles humanitaires. En 2025 cependant, l’arrestation d’une eurodéputée en exercice change la donne politique. Comment l’Union européenne peut-elle maintenir des relations normales avec un pays qui emprisonne ses élus ?
Alors que la communauté internationale attend les prochaines décisions de la CIJ sur le fond du dossier « génocide », le sort de Rima Hassan est devenu un symbole des tensions géopolitiques autour de Gaza. Son arrestation pose une question fondamentale : jusqu’où peut aller la résistance civile face à un blocus qualifié de « punition collective » par les Nations Unies ? Le courage de cette juriste devenue activiste rappelle que derrière les enjeux stratégiques, ce sont des vies humaines qui sont en jeu dans l’enfer gazaoui. Son combat, né dans les camps de réfugiés, se poursuit désormais derrière les barreaux israéliens, sous le regard d’une Europe divisée sur la réponse à apporter.