La situation carcérale du colonel Daniel Mukalayi, l’un des condamnés du retentissant procès relatif à l’assassinat des défenseurs des droits humains Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, soulève d’inquiétantes questions sur le respect des procédures judiciaires en République Démocratique du Congo. Bien que ce gradé des FARDC ait entièrement purgé sa peine de quinze années d’emprisonnement depuis le 4 juin dernier, sa libération demeure suspendue à des interprétations contradictoires des instances compétentes, suscitant des accusations de détention arbitraire dans un dossier déjà lourd de symboles.
L’avocat du militaire, Me Stéphane Kezza, a formellement qualifié de contraire au droit la prolongation de l’incarcération de son client, soulignant que toute privation de liberté au-delà de l’exécution intégrale d’une condamnation pénale constitue une violation manifeste des principes fondamentaux. Dans une démarche visant à établir les bases juridiques de cette rétention, l’Auditorat général des Forces Armées aurait été saisi, celui-ci ayant sollicité auprès du Conseil national de sécurité les éléments justificatifs de la détention initiale intervenue le 4 juin 2010, sans que cette initiative n’ait encore produit d’effet tangible sur la situation du colonel Mukalayi.
Cette position se heurte frontalement aux déclarations récentes de l’organisation La Voix des Sans Voix pour les droits de l’homme, laquelle, à l’occasion de la commémoration du quinzième anniversaire de la mort de Floribert Chebeya, a plaidé pour le maintien en détention de l’officier. L’argument avancé repose sur l’hypothèse que le colonel détiendrait des informations cruciales concernant la localisation de la sépulture de Fidèle Bazana, dont la disparition demeure une plaie ouverte pour les familles des victimes. Me Kezza a vivement récusé ce fondement juridique : « Aucune raison ne peut justifier le maintien en détention d’une personne ayant exécuté pleinement sa condamnation », a-t-il martelé, rappelant l’intangibilité de la chose jugée.
Si l’avocat reconnaît la légitimité du désir des familles de connaître le lieu d’inhumation de Bazana, il déconstruit méthodiquement le lien établi avec la situation de son client. Les investigations menées lors du procès, incluant une descente sur les lieux supposés de l’enterrement, n’avaient d’ailleurs pas associé le colonel Mukalayi, faute d’éléments probants l’impliquant dans cette phase spécifique des événements. « Rien dans le dossier ne le liait à cette opération. Prétendre aujourd’hui prolonger sa détention pour cette raison nous semble aussi surprenant qu’illégal », a dénoncé le défenseur, soulignant l’absence de base factuelle à cette requête.
Face à ces accusations, l’Auditorat général des FARDC oppose une argumentation procédurale rigoureuse, fondée sur la date légale d’arrestation. Selon cette instance, la détention actuelle du colonel se justifierait par le fait que son mandat d’arrêt n’a été formellement émis que le 26 juillet 2010, cette date constituant ainsi le point de départ officiel du calcul de sa peine. Cette divergence d’interprétation chronologique crée une impasse juridique où deux temporalités s’affrontent : celle de la privation de liberté effective et celle de la reconnaissance judiciaire formelle.
Quelles sont les prochaines étapes susceptibles de résoudre cette contradiction manifeste ? L’attention se porte désormais sur la réponse que formulera le Conseil national de sécurité à la requête de l’Auditorat général, décision attendue qui pourrait trancher ce différend aux implications profondes pour l’État de droit. En effet, au-delà du cas individuel du colonel Mukalayi, c’est la cohérence du système judiciaire congolais tout entier qui se trouve interrogée, notamment sa capacité à concilier exigences procédurales et impératifs humanitaires dans les dossiers sensibles. La résolution de cette affaire constituera un indicateur révélateur de la maturité des institutions à appliquer équitablement le droit, même lorsqu’il s’agit d’épines judiciaires historiques chargées d’émotion collective.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: radiookapi.net