« Les gens commencent à parcourir plusieurs kilomètres pour conserver les corps. Cela devient anormal pour une ville au 21ᵉ siècle », déplore Placide Mukwa, vice-président de la société civile du Kwilu. Ce cri du cœur résume le calvaire vécu depuis quinze jours à Bandundu, où les deux seules morgues de la ville sont paralysées par une panne technique persistante. Une réalité qui transforme le deuil en parcours du combattant pour des centaines de familles.
Face à cette crise des morgues en RDC, les habitants ont adopté des solutions de survie macabres. Certains optent pour l’inhumation directe des défunts, bousculant les traditions et les rites funéraires. D’autres entreprennent un voyage éprouvant : transporter leurs morts sur près de 60 kilomètres de routes chaotiques jusqu’à Bendela, au Maï-Ndombe voisin. Imaginez ce cortège funèbre improvisé, des cadavres ballotés dans des véhicules surchargés, sous un soleil équatorial implacable. Jusqu’où ira cette débrouille face à l’effondrement des services publics ?
L’impact économique de cette panne morgue à Bandundu frappe de plein fouet les ménages vulnérables. « Le transport vers Maï-Ndombe coûte entre 50 et 70 dollars, sans compter les frais de conservation », explique une veuve rencontrée près du marché central. Une somme astronomique dans une région où le salaire moyen ne dépasse pas 2 dollars journaliers. Cette crise morgue RDC force des familles à s’endetter pour offrir une sépulture digne, ou pire, à enterrer hâtivement leurs proches dans des fosses peu profondes.
Dans son communiqué du 22 mai, le maire promet des réparations « en cours ». Mais les bandundois restent sceptiques. Comment une ville chef-lieu peut-elle rester sans infrastructure de conservation des corps ? Cette inhumation directe au Kwilu n’est-elle pas le symptôme d’un abandon plus profond des zones périphériques ? Les observateurs pointent l’asphyxie financière des entités décentralisées, incapables de maintenir des équipements essentiels.
Derrière le transport des corps vers Maï-Ndombe se cache un drame humain silencieux. Des mères pleurent sans pouvoir laver une dernière fois leur enfant selon les coutumes. Des travailleurs journaliers sacrifient une semaine de salaire pour accompagner un cercueil. Cette panne morgue Bandundu révèle crûment les inégalités territoriales : pendant que Kinshasa modernise ses infrastructures, l’arrière-pays régresse. Quand les vivants peinent à survivre, comment exigeraient-ils du respect pour leurs morts ?
La solution d’attente proposée – ce transit funéraire épuisant – n’est qu’un pansement sur une fracture sociale béante. Sans investissement urgent dans les services de base, Bandundu risque de devenir le symbole d’une administration congolaise en décomposition. Car une société se juge aussi à la dignité qu’elle accorde à ses défunts. Et aujourd’hui, dans le Kwilu, cette dignité a le goût amer de la poussière des routes et de la précipitation des fosses communes.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd