« Je voyais en lui un bel avenir… Jamais je n’aurais imaginé cette consécration. » La voix de Gertrude Kamara tremble encore d’émotion lorsqu’elle évoque Floribert Bwana Chui Bin Kositi, son fils, ce dimanche 9 juin. Dix-huit ans après son assassinat à Goma, ce héros ordinaire de la République démocratique du Congo accède à la béatification, reconnaissance ultime de l’Église catholique pour un martyr tué « en haine de la foi » selon le décret papal du 25 novembre dernier.
Derrière le titre de bienheureux se cache un drame qui a ébranlé le Nord-Kivu en 2007. Floribert Bwana Chui, jeune cadre de 26 ans à l’Office Congolais de Contrôle (OCC), paya de sa vie son refus catégorique d’autoriser l’entrée de denrées alimentaires avariées sur le territoire congolais. Chef de bureau à Goma, cet inspecteur intègre avait fait de la protection des consommateurs son combat quotidien, une mission dont il connaissait les dangers dans une région minée par les trafics.
« C’était un garçon poli mais inflexible sur ses principes », confie sa mère, les yeux brillants de larmes mêlées de fierté. Dans son modeste salon de Goma, elle se remémore ce fils « intelligent et éloquent » dont elle espérait voir fonder une famille. « Sa disparition m’a brisée. Seule la prière m’a sauvée du désespoir. » Dimanche 15 juin, elle sera à Rome pour cette cérémonie historique, ultime consolation après des années de douleur.
L’assassinat de Floribert Bwana Chui révèle une réalité glaçante : en RDC, défendre l’intérêt public peut coûter la vie. Ce 8 juin 2007, celui qui bloqua des cargaisons de riz et de lait impropres à la consommation tombait sous les balles de commanditaires jamais identifiés. Un meurtre qui soulève toujours des questions brûlantes : jusqu’où les réseaux mafieux sont-ils prêts à aller pour protéger leurs profits ? Combien de fonctionnaires intègres subissent aujourd’hui les mêmes pressions mortelles ?
La béatification dépasse largement le cadre religieux. Elle consacre la résistance citoyenne face à la corruption endémique qui ronge les institutions congolaises. « Floribert incarnait cette jeunesse africaine qui refuse le fatalisme », analyse le père Marcelo, vicaire à Goma. « Son crime ? Avoir pris au sérieux sa mission de contrôle des marchandises à l’OCC, cet organe crucial pour la santé publique. » Dans un pays où des enfants meurent encore d’intoxication alimentaire, son sacrifice résonne comme un appel à l’action.
Aujourd’hui, des collectifs citoyens de Goma réclament que l’aéroport ou le principal poste de contrôle frontalier portent son nom. « Son histoire doit être enseignée dans les écoles », plaide Josué Kalinda, militant anticorruption. « Ce jeune cadre nous rappelle qu’on peut dire non, même quand les menaces pleuvent. » Alors que les denrées avariées continuent de menacer la santé des Congolais, le martyre de Bwana Chui interpelle plus que jamais les consciences.
Dimanche, lorsque le nom de Floribert résonnera dans la basilique Saint-Pierre, ce ne sera pas seulement un fils que Gertrude Kamara verra honoré. Ce sera la victoire posthume d’une éthique professionnelle inébranlable, d’un courage qui force le respect bien au-delà des cercles catholiques. Dans l’est de la RDC meurtri par les conflits, sa béatification offre un rare symbole d’espoir : celui que la lumière finisse toujours par triompher des ténèbres de l’impunité.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
