Des milliers de fidèles se pressent sur le terrain Saio à Bunia, les mains tendues vers le ciel. Dans cette province de l’Ituri déchirée par les conflits, la célébration de la Tabaski – la fête du mouton – prend une résonance particulière ce 7 juin. Au cœur de cette assemblée, la voix du Cheikh Shukran Byarufu, représentant de la communauté musulmane, porte loin son message d’urgence : « L’Ituri traverse des moments difficiles avec la recrudescence de l’insécurité un peu partout. Les communautés doivent s’unir. Nous implorons Allah pour le retour de la paix. » Son appel vibrante à la réconciliation communautaire tombe comme une prière collective dans une région où les groupes armés sèment encore la terreur.
Le leader religieux, visage grave sous le soleil congolais, a martelé l’impérieuse nécessité de cultiver « l’amour, le pardon mutuel et la tolérance ». Devant cette mer de fidèles de toutes origines, son discours transcende la simple célébration religieuse pour devenir un plaidoyer politique. Peut-on vraiment fêter la Tabaski Ituri dans la joie quand des villages voisins sont en proie aux violences ? La question plane sur l’assemblée tandis que le cheikh évoque les récentes attaques dans les territoires environnants. Pour lui, cette fête du mouton RDC doit symboliser le sacrifice des rancoeurs : « Ces vertus sont indispensables à la construction d’une paix pérenne », insiste-t-il, les mains tremblantes d’émotion.
Dans la foule, Alex Shabdina écoute, médusé. Pour ce fidèle, le message dépasse le cadre spirituel : « La Tabaski est un moment de réconciliation entre communautés, entre amis et frères. C’est aussi un temps de partage fraternel. » Autour de lui, des familles qui ont fui les zones de conflit hochent la tête. Leur présence ici, à célébrer côte à côte, est déjà un acte de résistance. Pourtant, l’ombre des kalachnikovs plane toujours. Comment bâtir une paix durable en Ituri quand les milices contrôlent encore des territoires entiers ? Le cheikh Byarufu répond par la persévérance : son appel au pardon mutuel n’est pas une résignation, mais un combat quotidien.
La scène de communion sur le terrain Saio contraste cruellement avec la réalité des villages voisins. Alors que des familles partagent la viande du sacrifice – tradition centrale de la fête du mouton RDC –, d’autres pleurent leurs disparus. Le paradoxe frappe : cette Tabaski Ituri célèbre la vie dans une province où la mort rôde encore. Pourtant, l’insistance du cheikh sur la réconciliation communautaire ouvre une lueur d’espoir. Et si cette fête religieuse devenait le ferment d’une paix durable ? Les mains jointes pour la prière finale, les fidèles semblent faire le serment silencieux de porter ce message au-delà de l’enceinte sacrée. Dans une Ituri meurtrie, chaque geste de pardon devient un acte révolutionnaire.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net