Le spectre du néocolonialisme hante toujours l’Afrique soixante ans après les indépendances formelles. Derrière les souverainetés affichées se dissimule une réalité complexe où d’anciennes puissances coloniales et de nouveaux acteurs globaux maintiennent leur emprise par des mécanismes économiques subtils. Comment expliquer que le continent le plus riche en ressources naturelles demeure le plus pauvre selon les indicateurs de développement ? Cette contradiction apparente trouve ses racines dans une architecture financière et politique savamment entretenue.
Au cœur de ce système, le franc CFA symbolise une dépendance monétaire héritée de la colonisation. Créée en 1945 sous le nom de « franc des Colonies Françaises d’Afrique », cette monnaie oblige quatorze pays africains à déposer 50% de leurs réserves de change auprès du Trésor français. L’arrimage à l’euro, décidé sans consultation des États concernés, rend leurs économies vulnérables aux décisions de la Banque Centrale Européenne. Le président burkinabè Ibrahim Traoré dénonce cette « prison monétaire » qui entrave toute politique industrielle ambitieuse. Cette tutelle financière constitue-t-elle le dernier rempart d’un néocolonialisme honteux ?
L’année 2023 marqua un tournant historique lorsque le Mali, le Burkina Faso et le Niger annoncèrent simultanément leur sortie du franc CFA. Cette décision révolutionnaire s’accompagna de la création de l’Alliance des États du Sahel et du projet d’une monnaie commune indépendante. « Nous reprenons notre souveraineté économique confisquée depuis 1945 », déclara le colonel Assimi Goïta, chef de la junte malienne. Ces initiatives cristallisent une résistance africaine croissante contre les diktats économiques extérieurs. Le retrait du franc CFA représente bien plus qu’une réforme monétaire : c’est un acte de décolonisation financière.
La souveraineté économique se heurte pourtant à d’autres chaînes invisibles. Les Accords de Partenariat Économique (APE) imposés par l’Union européenne obligent les pays africains à libéraliser 75% de leurs marchés, exposant les producteurs locaux à une concurrence déloyale. Le FMI et la Banque Mondiale instrumentalisent la dette – passée de 32% à 62% du PIB continental entre 2010 et 2023 – pour dicter des politiques économiques. Ces institutions exigent systématiquement des coupes budgétaires dans les services publics et des privatisations en échange de leur aide. Ne perpétue-t-on pas ainsi un système de domination économique déguisé ?
Le néocolonialisme revêt également une dimension militaire préoccupante. La France maintient 11 bases permanentes et 7 550 soldats sur le continent, principalement dans sa « zone d’influence » sahélienne. Officiellement déployés pour lutter contre le terrorisme, ces contingents protègent surtout des intérêts économiques stratégiques. L’opération Barkhane sécurisait ainsi les mines d’uranium nigériennes exploitées par Orano (ex-Areva), dont dépend 40% de l’approvisionnement des centrales nucléaires françaises. Après le coup d’État de juillet 2023 au Niger, la junte expulsa les troupes françaises et révoqua les licences d’exploitation d’Orano et GoviEx Uranium, réclamant 200 millions de dollars d’arriérés fiscaux. Cette décision illustre une rupture radicale avec les accords léonins de l’ère postcoloniale.
Le volet culturel de cette domination reste moins visible mais tout aussi structurant. L’usage exclusif du français dans l’administration et l’éducation supérieure marginalise les langues locales et façonne les élites africaines dans un moule occidental. Les médias internationaux entretiennent un récit misérabiliste : 83% des reportages européens sur l’Afrique l’associent aux conflits ou aux épidémies, contre 12% seulement évoquant sa croissance économique. Cette représentation biaisée alimente un complexe d’infériorité exploité par les multinationales. Peut-on parler de véritable souveraineté quand la pensée elle-même reste colonisée ?
Face à cette oppression multiforme, une résistance africaine s’organise. L’activiste panafricain Kemi Seba symbolise ce combat nouveau, brûlant des billets de franc CFA en public et appelant à une « renaissance économique décolonisée ». Les gouvernements du Mali, du Burkina Faso et du Niger, malgré leurs ambiguïtés démocratiques, impulsent une rhétorique antisystème inédite. Le Burkina Faso nationalisa ses mines d’or en 2024, défiant les compagnies canadiennes qui contrôlaient 50% du secteur[17]. Ces initiatives s’inscrivent dans le cadre plus large de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, qui prévoit une zone de libre-échange continentale et une monnaie unique d’ici 2030[20]. Le panafricanisme renaît comme projet politique concret.
Les obstacles restent immenses. Les firmes étrangères utilisent les tribunaux d’arbitrage internationaux pour bloquer les nationalisations, comme au Niger où Orano réclame 40 milliards de dollars de compensation. La France conditionne son aide au développement au maintien de ses privilèges militaires et économiques. Pourtant, un vent de souveraineté souffle sur le continent : 65% des jeunes Africains considèrent désormais le néocolonialisme comme la principale entrave à leur développement, selon un récent sondage Afrobarometer. La décolonisation mentale et économique apparaît comme le prochain chapitre des indépendances africaines.
Article Ecrit par Cédric Botela