Le bruit des obus résonne encore dans la vallée tandis que Mama Kanku serre contre elle son enfant fiévreux. Comme des milliers d’autres, elle a fui son village en flammes pour se réfugier à Bambo, dans le territoire de Rutshuru. « Les combattants ont tout brûlé, même notre récolte. Ici, on dort à dix dans une cabane, sans nourriture », témoigne-t-elle, la voix brisée. Son récit illustre le drame décrit par Médecins Sans Frontières dans son rapport du 3 juin 2025 : une crise humanitaire aiguë dans le Nord-Kivu où près d’un million de personnes ont été déplacées en un an.
Depuis le 15 mai, Bambo est devenue l’épicentre d’affrontements sanglants entre les rebelles du M23 et les groupes Wazalendo. Cette localité stratégique subit une pression insoutenable : sa population a doublé en quelques jours avec l’arrivée de plus de 11 000 ménages déplacés. « L’hôpital général de Bambo, que nous soutenons, est submergé par les blessés civils – victimes de balles perdues ou d’éclats d’artillerie », explique François Calas, chef de programme MSF Nord-Kivu. Les équipes médicales travaillent jour et nuit dans des conditions extrêmes, manquant parfois de l’essentiel.
Face à cette urgence, MSF Nord-Kivu a déployé une aide multisectorielle : distribution de kits d’urgence (nattes, jerricans, couvertures), construction de latrines et de points d’eau dans les abris collectifs, renforcement des capacités sanitaires. Mais cette réponse atteint ses limites. Comment parler d’hygiène quand des familles entières partagent un seul seau d’eau ? Comment soigner des enfants quand les réserves de médicaments s’épuisent ? Le conflit M23-Wazalendo crée un cercle vicieux où la violence alimente la précarité, qui elle-même exacerbe les tensions.
Le spectre de la malnutrition plane désormais sur les déplacés de Rutshuru. « Notre assistance couvre des besoins sanitaires immédiats mais ne répond pas à la crise alimentaire », souligne Calas. Dans les centres de santé soutenus par MSF, le nombre d’enfants souffrant de malnutrition aiguë a bondi de 40% en trois semaines. Une situation d’autant plus cruelle que la région était jadis le grenier du Kivu. Aujourd’hui, les champs sont soit des champs de bataille, soit abandonnés par des paysans en fuite.
L’insécurité complique chaque intervention. Les équipes humanitaires naviguent entre check-points improvisés et menaces directes. « Hier encore, une ambulance a été bloquée trois heures par des combattants », raconte un infirmier local sous couvert d’anonymat. Cette paralysie progressive de l’aide pose une question fondamentale : jusqu’où peut-on laisser une population civile devenir otage d’un conflit qui la dépasse ?
Derrière les chiffres – 1 million de déplacés en 12 mois au Nord-Kivu – se cache une réalité sociale déchirante. Ces déplacés de Bambo sont majoritairement des femmes et des enfants dont la résilience atteint ses limites. Leur calvaire illustre l’échec collectif à protéger les plus vulnérables. Comme le résume un ancien du village : « On ne fuit plus seulement les balles, mais la faim qui tue lentement ». L’appel de MSF résonne comme un test pour la communauté internationale : saura-t-elle enfin transformer les déclarations d’intention en actions concrètes ? La crédibilité de l’aide humanitaire en RDC se joue aujourd’hui dans les collines oubliées de Rutshuru.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
