Dans un contexte politique aussi volatile que les volcans entourant Goma, Joseph Kabila entame un marathon diplomatique singulier. L’ancien chef de l’État a reçu ce mardi les représentants des communautés du Nord-Kivu, inaugurant ainsi une série de consultations présentées comme une réponse à la crise multiforme qui étreint la région. Quelle portée réelle peuvent avoir ces échanges tandis que son propre statut juridique vacille ?
Assis face aux délégués communautaires, l’ex-président a écouté des doléances centrées sur la sécurité précaire, le développement paralysé et l’impérieuse nécessité de justice sociale. Les participants ont imploré Kabila d’« user de sa sagesse » pour restaurer une paix durable, témoignant paradoxalement d’une influence persistante malgré son retrait officiel du pouvoir. Dans sa réponse, l’intéressé a brandi son « attachement indéfectible à la souveraineté nationale », tout en saluant l’engagement des communautés locales.
Cette scène de dialogue intercommunautaire à Goma cache-t-elle une manœuvre plus complexe ? La veille, devant les associations de jeunesse, Kabila avait déployé un discours alarmiste sur les « risques de fragmentation du pays », appelant les jeunes à résister à « l’instrumentalisation ». Un vocabulaire offensif qui contraste avec le ton conciliateur des rencontres communautaires. Dans quel jeu politique s’inscrivent réellement ces consultations ?
L’initiative prend une dimension transnationale avec la présence remarquée de délégations du Mouvement Radical pour le Changement (MRC), venues spécialement d’Europe et d’Amérique du Nord. Porteurs d’un message de leur leader Frank Diongo, ces émissaires ont publiquement soutenu l’appel de Kabila à « voler au secours du Congo ». Un renfort politique opportun pour l’ancien président.
Mais cette activité fébrile à Goma se déploie sur fond de tourmente judiciaire. Le spectre des accusations plane depuis que le Sénat, le 22 mai dernier, a levé à une écrasante majorité les immunités parlementaires de Kabila. La justice militaire l’accuse en effet de complicité avec la rébellion AFC/M23 – cette même rébellion soutenue par le Rwanda qui contrôle des pans entiers de l’Est congolais. La synchronisation est troublante : pendant que Kabila prêche l’unité nationale à Goma, l’État congolais prépare son procès.
Cette double réalité illustre l’équilibre précaire de la scène politique congolaise. D’un côté, un ancien président mobilisant son réseau pour se positionner en médiateur de la crise Nord-Kivu ; de l’autre, un appareil judiciaire déterminé à lui demander des comptes sur son implication présumée avec les forces déstabilisatrices. Les consultations de Goma servent-elles de bouclier politique ou constituent-elles une authentique tentative de résolution de crise ?
L’habileté tactique de Kabila réside dans cette capacité à maintenir simultanément plusieurs positions : faiseur de paix local et cible judiciaire national. Tandis que les délégués communautaires évoquent avec lui les « pistes de solutions », les juges militaires échafaudent leur réquisitoire. Le paradoxe n’est qu’apparent : dans l’arène politique congolaise, l’influence se mesure souvent à la capacité d’agir dans la tempête. Reste à savoir si ce dialogue intercommunautaire dans le Nord-Kivu parviendra à infléchir les dynamiques de conflit ou s’il ne constituera qu’un épisode supplémentaire dans le long feuilleton des calculs politico-militaires qui minent la région.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd