« J’ai quatre enfants sans papiers. L’aîné a neuf ans et aucun n’existe aux yeux de l’État. Ici, ce service vital n’existe pas. » La voix de cette mère de Djugu-centre tremble de colère impuissante. Son témoignage résume le drame silencieux qui frappe des milliers d’enfants dans cette région de l’Ituri, où l’absence de bureau d’état civil transforme des vies entières en fantômes administratifs.
Dans ce territoire ravagé par les conflits, obtenir un acte de naissance relève du parcours du combattant. Les parents doivent parcourir plus de trente kilomètres jusqu’à Fataki, le chef-lieu coutumier le plus proche, pour tenter d’accomplir cette démarche élémentaire. Une enquête révèle l’ampleur du désastre : parmi dix femmes interrogées à Djugu-centre, neuf n’ont jamais enregistré leurs enfants. Comment bâtir une nation quand des générations entières grandissent sans identité légale ?
La situation dépasse la simple logistique. Dans les villages environnants, nombreux sont les parents ignorant jusqu’à l’existence de l’enregistrement des naissances en RDC. Cette méconnaissance crée une fracture sociale insidieuse, privant les enfants de leurs droits à l’éducation, aux soins, et plus tard, à la citoyenneté. L’état civil défaillant en Ituri fabrique des invisibles, condamnés à errer dans les marges de la société congolaise.
David Ramazani, activiste des droits de l’enfant, dénonce une « violation flagrante » des conventions internationales ratifiées par la RDC. « Djugu est l’épicentre d’une crise humanitaire où l’insécurité permanente aggrave la privation d’identité légale », explique-t-il. Les enfants non enregistrés à Djugu deviennent des proies faciles pour le travail forcé, les mariages précoces ou l’enrôlement par des groupes armés. Leur inexistence administrative les rend vulnérables à toutes les exploitations.
Cette tragédie silencieuse s’étend bien au-delà de Djugu-centre. Dans plusieurs entités de l’Ituri, les registres de naissances restent des objets introuvables, piégés entre des traditions coutumières et une administration étatique défaillante. L’enregistrement naissance DRC devient un privilège géographique, inaccessible pour ceux coincés dans des zones reculées. Pourtant, sans ce sésame, comment prouver son âge, son origine, son humanité même ?
Derrière chaque enfant sans acte de naissance à Ituri se cache un avenir compromis. L’urgence est double : installer des bureaux d’état civil accessibles et mener des campagnes de sensibilisation massives. Car garantir les droits de l’enfant au Congo commence par reconnaître leur existence. Tant que des milliers de petits Congolais grandiront sans papiers, la nation trahira sa promesse fondatrice : « Justice, Paix, Travail ». Le temps presse avant qu’une génération entière ne sombre dans l’oubli administratif.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net