Dans le village poussiéreux de Kilolirwe, au cœur du territoire de Masisi, Jeanne serre contre elle un sac de haricots comme si c’était un nouveau-né. « Après neuf mois sous la tente près de Goma, ces vivres sont notre premier vrai repas dans notre propre maison », confie cette mère de cinq enfants, les yeux brillants d’un espoir fragile. Son témoignage résonne avec ceux des milliers de retournés qui peuplent aujourd’hui les axes Kilolirwe-Kitshanga et Matanda-Masisi centre, où le Programme alimentaire mondial (PAM) mène une vaste opération d’assistance alimentaire en RDC.
Depuis début juin, près de 300 000 personnes bénéficient de cette distribution unique dans le Nord-Kivu. Un chiffre qui donne le vertige, mais qui représente pourtant chaque destin brisé par les conflits et chaque famille déterminée à reprendre racine dans sa terre ancestrale. Les sacs de farine de maïs, riz, haricots, huile végétale et sel distribués constituent une bouée de sauvetage pour couvrir un mois de besoins alimentaires. Mais comment reconstruire une vie quand tout a été perdu ?
Cette intervention du PAM s’inscrit dans un double défi : répondre à l’urgence nutritionnelle tout en facilitant la réinsertion durable des déplacés. « L’aide n’est pas une fin en soi », souligne un agent humanitaire sous couvert d’anonymat. « Ces rations permettent aux familles de consacrer leurs maigres ressources à la reconstruction de leurs maisons ou au labour de leurs champs, plutôt qu’à la quête quotidienne de nourriture ». Dans une région où près de 30% des terres agricoles ont été abandonnées pendant les déplacements, cette assistance alimentaire en RDC agit comme un starter pour relancer l’économie locale.
Pendant ce temps, sur l’axe nord de la province, une autre réalité persiste : plus de 128 000 déplacés à Lubero et Musienene reçoivent à leur tour des vivres. Le contraste est saisissant entre ceux qui peuvent enfin rentrer et ceux encore prisonniers de l’errance. Et dans l’ombre de ces drames humains, la malnutrition Nord-Kivu guette les plus vulnérables. Le PAM a déjà fourni des suppléments nutritionnels à base lipidique à 15 000 enfants de 6 à 59 mois – une intervention vitale quand on sait qu’un enfant sur cinq souffre de malnutrition aiguë dans la région.
Les défis restent immenses pour ces retournés du Nord-Kivu. Les écoles en ruine, les centres de santé délabrés et les champs minés rappellent que l’assistance alimentaire n’est qu’un premier pas. « Nous avons besoin de semences et d’outils avant la prochaine saison des pluies », implore un ancien du village de Matanda. Cette opération du PAM à Masisi soulève une question cruciale : jusqu’à quand la communauté internationale se contentera-t-elle de colmater les brèches sans s’attaquer aux causes profondes des déplacements cycliques ?
Alors que le soleil décline sur Kitshanga, des femmes pilent déjà le maïs reçu. Le bruit rythmé des pilons semble scander un espoir têtu. Mais derrière cette scène de normalité retrouvée se cache une vérité implacable : sans soutien à la relance agricole et sans sécurité durable, ces sacs de vivres ne seront qu’un répit éphémère dans la longue marche des déplacés congolais vers une paix oubliée.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
