L’arrivée de Joseph Kabila à Goma, épicentre des turbulences sécuritaires du Nord-Kivu, ressemble à un retour calculé sur l’échiquier politique congolais. L’ancien chef de l’État, dont le silence prolongé avait alimenté toutes les spéculations, orchestre désormais une série de consultations paix Nord-Kivu avec les forces vives régionales. Cette démarche, présentée comme une médiation, intervient dans un contexte où la rébellion du M23 RDC contrôle plusieurs territoires, tandis que Kinshasa accuse l’ex-président de collusion avec les insurgés.
Les entretiens successifs avec les confessions religieuses, les chefs coutumiers et les associations féminines ont révélé l’ampleur des fractures locales. « Nous voulons voir la paix revenir durablement », ont plaidé les autorités traditionnelles le 30 mai, soulignant l’urgence d’en finir avec des conflits cycliques qui déstructurent leurs communautés depuis une génération. Les femmes, reçues le lendemain, ont dressé un tableau glaçant des conséquences humaines : tueries systématiques, violences sexuelles érigées en arme de guerre, et effondrement économique symbolisé par les banques aux portes closes.
Face à ces doléances, Joseph Kabila a brandi sa volonté d’« œuvrer pour la paix dans les Kivu et sur l’ensemble du territoire national », promettant de mobiliser son expérience au service de la stabilité. Pourtant, cette posture de conciliateur masque-t-elle une manœuvre politique plus ambitieuse ? L’initiative s’inscrit en effet en contradiction frontale avec ses récentes sorties médiatiques, où il fustigeait la « dérive autoritaire » et la corruption du régime Tshisekedi, allant jusqu’à diagnostiquer une RDC « gravement malade » au « pronostic vital engagé ».
Le timing de ce dialogue politique Kabila interroge. Alors que les troupes du M23 consolident leurs positions, l’ex-président propose soudain un « pacte citoyen » en douze points pour sauver la nation. Cette feuille de route, présentée comme salvatrice, ne risque-t-elle pas d’être perçue comme une ingérence par le pouvoir central ? D’autant que sa venue à Goma par la voie aérienne, défiant les difficultés logistiques qui entravent la région, semble calculée pour maximiser l’impact symbolique.
Les défis de cette médiation auto-proclamée apparaissent immenses. Comment concilier les aspirations des femmes réclamant une participation effective aux processus de paix avec les réalités militaires sur le terrain ? La promesse d’un « retour des déplacés » sonne comme un vœu pieux tant que les groupes armés contrôlent près d’un tiers du Nord-Kivu. Et le spectre des accusations de complicité avec le M23 plane toujours sur l’ancien président, fragilisant d’emblée sa crédibilité de facilitateur.
Cette tentative de repositionnement intervient à un moment charnière où le gouvernement central peine à contenir l’escalade sécuritaire. Si Kabila parvient à transformer ces consultations en plateforme d’actions concrètes, il pourrait s’imposer comme un pivot incontournable. Mais l’échec de cette initiative le confinerait définitivement au rôle de spectateur critique, incapable d’infléchir la crise sécuritaire Est RDC qu’il a pourtant gouvernée pendant dix-huit ans. La suite dépendra de sa capacité à transcender les méfiances et à proposer des solutions acceptées par toutes les parties, y compris un pouvoir central qui voit d’un mauvais œil ce retour en grâce à l’Est.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
