Le visage creusé par la faim, Jacques*, 14 ans, se cache derrière un maigre arbuste. Il y a trois lunes, des hommes en armes l’ont arraché à son champ dans les hauteurs de Lubero. « Ils m’ont donné un fusil plus lourd que moi », murmure-t-il, les yeux rivés au sol. Son histoire n’est pas un cas isolé dans ce territoire du Nord-Kivu où le recrutement enfants groupes armés reste une réalité quotidienne, malgré les cris d’alarme répétés.
Vendredi 30 mai, les acteurs de la protection enfance Lubero ont dressé un constat accablant lors d’une réunion d’urgence. Jean-Pierre Kavaketi, vice-président chargé de la protection infantile dans la zone, n’a pas mâché ses mots : « Outre les enfants soldats Nord-Kivu, nous recensons des mineurs non accompagnés, des enfants en conflit avec la loi, des victimes de travail forcé et de violences sexuelles. » Une litanie de souffrances qui dessine le calvaire d’une génération sacrifiée.
Comment en est-on arrivé là ? La réponse fuse dans la salle de réunion où l’émotion est palpable : « Cette situation exige que les agences de protection de l’enfance unissent leurs efforts avec le gouvernement pour mettre fin à ce phénomène », plaide Kavaketi. Son appel résonne comme un aveu d’impuissance face à la persistance des groupes armés qui prospèrent dans l’impunité. Combien d’enfants devront encore porter l’uniforme avant que la communauté internationale ne se réveille ?
Face à l’urgence, les organisations locales brandissent la résolution 1612 ONU comme un rempart juridique. « Nous exigeons la libération immédiate de tous les mineurs enrôlés », martèle un participant. Mais libérer ne suffit pas. Kavaketi insiste : « Ces enfants doivent être accueillis sans discrimination. Leur place est en famille et à l’école, pas dans la brousse avec une kalachnikov ! »
L’enjeu crucial réside désormais dans la réinsertion scolaire RDC. Sans programmes éducatifs et socioéconomiques adaptés, les risques de re-recrutement sont élevés. « Un enfant démobilisé sans perspective retombe vite dans les filets des milices », soupire une travailleuse sociale. Les acteurs sur le terrain réclament des moyens concrets : écoles reconstruites, formations professionnelles et accompagnement psychologique. Car derrière chaque uniforme trop large se cache un traumatisme profond.
Cette crise interroge notre humanité collective. Comment la RDC peut-elle envisager un avenir stable quand ses enfants apprennent à tuer avant d’apprendre à lire ? Les solutions existent : renforcement des mécanismes d’alerte précoce, collaboration transfrontalière et surtout, pression accrue sur les groupes armés. Mais sans volonté politique ferme, les discours resteront vains. Le territoire de Lubero attend plus que des promesses. Il attend que ses enfants retrouvent enfin le chemin de l’enfance.
*Prénom modifié pour protéger l’identité
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net