Dans un Nord-Kivu toujours sous l’emprise des rebelles de l’AFC/M23, l’ancien chef de l’État Joseph Kabila poursuit méthodiquement ses consultations citoyennes. Depuis dimanche à Goma, il a engagé un dialogue singulier avec les gardiens des traditions, interrogeant la fragile cohabitation entre pouvoir moderne et autorités coutumières face à la crise sécuritaire.
Une trentaine de chefs traditionnels – quatre rois, vingt chefs de groupements et dix chefs de villages – ont été reçus ce vendredi dans un échange d’une heure. « Nous l’avons accueilli chez nous », confie l’un d’eux à Congo Quotidien, soulignant la portée symbolique de cette rencontre. Les discussions ont tourné autour des défis brûlants : sécurité précaire, retour des populations déplacées, et ce développement qui semble perpétuellement en suspens dans l’est congolais.
L’ancien président, selon les témoignages recueillis, a cultivé une posture d’écoute attentive sans engagements concrets. « Il n’a pas donné d’avis tranché », précise un Mwami, décrivant un Kabila en posture de réconfort plutôt que de stratège. Cette réserve interroge : simple prudence diplomatique ou calcul politique mesuré dans une région où chaque parole est disséquée ? L’homme qui dirigea le pays pendant 18 ans s’est contenté d’affirmer sa « disponibilité à accompagner le recouvrement de la paix », évitant soigneusement toute mention de la rébellion M23 ou du président Tshisekedi.
Certains chefs traditionnels voient en lui un recours possible, évoquant sa « sagesse » et son expérience. « Nous avons foi en lui pour le retour définitif de la paix », confie l’un d’eux, révélant ainsi la persistance d’un capital symbolique malgré son retrait du pouvoir. Cette confiance résiste-t-elle à l’épreuve des réalités sécuritaires ou n’est-elle que le reflet d’une lassitude face à l’incapacité actuelle à juguler le conflit ?
Ces consultations s’inscrivent dans un contexte politique électrique. Après des mois de silence, Joseph Kabila a récemment dénoncé avec virulence la « gouvernance non orthodoxe » de son successeur, pointant corruption, détournements et dérives autoritaires. Son « pacte citoyen » en douze points, présenté comme remède aux maux du pays, trouve ici un terrain d’expérimentation dans la province la plus meurtrie. Mais le décalage est saisissant entre la gravité des accusations portées à Kinshasa et la retenue observée à Goma.
Après les chefs religieux reçus jeudi à Kinyogote et ces autorités traditionnelles, l’ancien président prévoit une conférence de presse, ultime étape de cette tournée scrutée comme un baromètre de son influence réelle. Ces consultations citoyennes dessinent-elles les contours d’un retour politique ou ne sont-elles qu’une opération d’image dans l’ombre des kalachnikovs ? La réponse se niche peut-être dans cette absence de promesses : en s’abstenant de s’engager, Kabila préserve ses options dans un jeu d’échecs où les rebelles contrôlent l’échiquier territorial.
Alors que des centaines de milliers de déplacés du Nord-Kivu attendent des solutions concrètes, ce dialogue avec les autorités traditionnelles ouvre une fenêtre médiatique mais laisse en suspens la question essentielle : comment transformer l’écoute en action quand la guerre dicte sa loi ? Le prochain acte de cette stratégie d’influence se jouera lors de la conférence de presse annoncée, où l’ancien président devra nécessairement sortir du registre de l’implicite.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd