Dans la cour d’une école fantôme de Bunia, un cahier déchiré danse au vent. Ce vestige symbolise le drame silencieux qui frappe l’Ituri : plus d’1,3 million d’enfants privés de leur droit fondamental à l’éducation. La recrudescence des conflits armés et des déplacements massifs de populations a transformé cette province congolaise en vaste cimetière scolaire.
Comment envisager l’avenir lorsque 290 établissements scolaires sont réduits à des amas de pierres depuis janvier ? Cette destruction systématique a jeté 130 000 nouveaux élèves dans la rue, portant le sinistre bilan à 1,3 million de jeunes esprits en suspens. Derrière ces chiffres glaçants, des visages. Comme celui de Joséphine, 12 ans, rencontrée dans le camp de déplacés de Roe : « Les hommes avec des armes ont brûlé notre école. Maintenant, je garde les bébés toute la journée ».
Entre janvier et avril 2025, la violence a fait un bond terrifiant : plus de 100 000 personnes chassées de leurs foyers – dont la moitié d’enfants – et au moins 205 civils tués. Les violations des droits de l’enfant ont augmenté de 32% : enlèvements, mutilations, violences sexuelles et recrutement forcé par les groupes armés deviennent le quotidien de cette génération sacrifiée. La crise scolaire en Ituri n’est que la partie émergée d’un iceberg de souffrances.
« Nous parlions de crise de protection, mais c’est désormais une véritable urgence éducative », alerte John Agbor, représentant de l’UNICEF en RDC. « Privés d’école, ces enfants deviennent des proies faciles pour les groupes armés ». Le tableau s’assombrit encore lorsqu’on élargit le cadre : dans tout l’est congolais, ce sont 1,8 million d’enfants déscolarisés, otages des conflits qui déchirent le Kivu et le Tanganyika.
Dans cette tourmente, les équipes de l’UNICEF et leurs partenaires luttent avec des moyens dérisoires. Depuis janvier, 267 enfants arrachés aux groupes armés ont entamé une douloureuse réinsertion – parmi eux, 130 filles marquées à vie. Près de 24 000 enfants ont bénéficié d’un soutien psychosocial, tandis que 900 survivantes de violences sexuelles recevaient des soins complets. Mais ces efforts ressemblent à une goutte d’eau dans l’océan des besoins.
Le cri d’alarme est financier : avec seulement 35,6 millions de dollars sur les 57 millions requis, les programmes vitaux sont au bord de l’asphyxie. « Nos ressources sont dramatiquement insuffisantes face à l’ampleur de la catastrophe », déplore John Agbor. Cette pénurie de fonds frappe particulièrement la nutrition infantile : alors que plus de la moitié des moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique, seuls 30% des zones de santé disposent de services fonctionnels.
La tragédie éducative cache un autre drame : l’extrême jeunesse de l’Ituri est abandonnée dès le berceau. À peine 4% des 3-5 ans accèdent à des programmes préscolaires. En 2024, 18 600 enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère ont été soignés. L’objectif pour 2025 est de 38 700 – mission quasi impossible sans financement urgent. Les conséquences de cette double peine – déscolarisation et malnutrition – pèseront lourd sur le développement de toute la région.
Que deviendra une société où toute une génération grandit sans bancs d’école, le ventre vide et la peur au cœur ? Les cicatrices de l’ignorance et de la violence mettront des décennies à se refermer. Alors que les enfants de l’Ituri jouent à cache-cache entre les tentes des déplacés plutôt que d’apprendre à lire, la communauté internationale regarde ailleurs. Combien de vies brisées faudra-t-il encore pour que cette crise oubliée mobilise les consciences et les ressources ? L’avenir de la RDC se joue aujourd’hui dans ces salles de classe vides.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
