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(DOSSIER)Crise de confiance institutionnelle : justice, dettes publiques et risque du pays après les condamnations pour corruption

Une justice qui se muscle : des affaires emblématiques en RDC

Les récents jugements anticorruption en République démocratique du Congo (RDC) marquent un tournant dans la lutte contre l’impunité. L’ex-Premier ministre Augustin Matata Ponyo a ainsi été condamné en mai 2025 à dix ans de travaux forcés pour détournement de fonds publics dans le cadre du projet agro-industriel de Bukanga-Lonzo. Ce méga-projet agricole lancé sous le président Kabila, destiné à lutter contre l’insécurité alimentaire, s’est effondré en 2017, après la disparition de 245 millions de dollars de fonds publics. Le verdict de la Cour constitutionnelle a reconnu M. Matata coupable de détournement avéré de 158,8 millions USD avec un partenaire sud-africain, et de 89 millions USD supplémentaires en collusion avec l’ancien gouverneur de la Banque centrale, Déogratias Mutombo, lui-même condamné à cinq ans. Ces peines exemplaires – prononcées par contumace, aucun des condamnés n’étant détenu à ce jour – envoient un signal fort. D’après l’Association congolaise d’accès à la justice (ACAJ), « la condamnation de l’ancien Premier ministre Matata Ponyo et de ses coaccusés est un avertissement à tous les prédateurs des finances publiques ».

D’autres affaires retentissantes confirment ce renforcement de l’appareil judiciaire contre la corruption. L’Inspection générale des finances (IGF) a mis au jour des malversations au Fonds national d’entretien routier (FONER), avec un manque à gagner estimé à 80 millions de dollars dû à la fraude. Dès 2020, le directeur général du FONER, Fulgence Baramosi, a été incarcéré à la prison de Makala, soupçonné d’avoir détourné plus de 20 millions USD destinés à la réhabilitation des routes dans plusieurs provinces. Intégré au fameux « procès des 100 jours » de 2020, ce dossier a débouché sur des réquisitions de plus de 15 ans de prison contre M. Baramosi pour ces détournements. Dans la foulée, d’autres anciens dignitaires font l’objet de poursuites – un véritable effet domino. Des proches de l’ancien régime, y compris des ex-ministres et directeurs d’entreprises publiques, ont été auditionnés par la justice. Chaque condamnation crée un précédent qui ébranle l’impunité longtemps associée aux élites congolaises.

Méfiance accrue des investisseurs face au climat des affaires

Si ces actions judiciaires montrent une volonté de réforme, elles jettent aussi une lumière crue sur l’ampleur de la corruption systémique en RDC. Pendant des décennies, le climat des affaires congolais a pâti d’une mauvaise gouvernance, décourageant nombre d’investisseurs. La RDC figure toujours parmi les pays les plus corrompus de la planète – 162ᵉ sur 180 au dernier indice de perception de la corruption de Transparency International, avec un score de seulement 20/100. De même, selon l’indice Ibrahim de la gouvernance africaine, le pays se classait 49ᵉ sur 54 en 2022, avec une note de 32,7/100, bien en deçà de la moyenne du continent. Ces classements peu flatteurs reflètent des pratiques ancrées (pots-de-vin, surfacturations, détournements) qui ont longtemps fait de la corruption une quasi-norme dans l’économie.

Les scandales révélés – du parc agro-industriel fantôme de Bukanga-Lonzo aux fonds routiers du FONER en passant par d’autres marchés publics frauduleux – érodent la confiance. Pour un investisseur étranger, voir un ancien Premier ministre et un gouverneur de banque centrale condamnés pour détournement massif souligne les risques liés à la faiblesse des contrôles internes. Certes, on peut y lire positivement l’indépendance croissante de la justice congolaise. Cependant, à court terme, la divulgation de ces affaires peut rendre les investisseurs plus prudents. Ils redoutent l’opacité administrative, l’insécurité juridique et l’instabilité politique potentielle qu’impliquent de tels scandales.

Malgré tout, la RDC demeure attractive grâce à ses ressources naturelles et à son potentiel de croissance. Après une année 2022 exceptionnelle (plus de 4,5 milliards USD d’investissements directs étrangers attirés selon la CNUCED), les flux IDE entrants se sont tassés à 1,63 milliard USD en 2023. Ce niveau a néanmoins hissé le pays au 10ᵉ rang africain des destinations d’IDE en 2023, devant des économies comme le Kenya ou le Ghana. Ce paradoxe s’explique par les investissements majeurs dans le secteur minier (cobalt, cuivre, lithium) qui continuent d’affluer. Les investisseurs industriels, notamment chinois et occidentaux, misent sur le potentiel minier, tout en réclamant des garanties. Ils surveillent de près l’évolution du climat des affaires : une justice plus ferme est perçue favorablement, à condition qu’elle s’inscrive dans une stratégie cohérente d’amélioration de la gouvernance (simplification administrative, lutte contre l’insécurité, etc.). Dans le cas contraire, la persistance d’affaires de corruption entretient une prime de méfiance qui peut peser sur les décisions d’investissement et le coût du capital.

Primes de risque souverain en hausse : la rançon de la mauvaise gouvernance

Les faiblesses institutionnelles mises en évidence par ces scandales influencent directement le risque pays de la RDC. Les créanciers et agences de notation intègrent la qualité de la gouvernance dans leur évaluation de la capacité de remboursement d’un État. Or, malgré les progrès revendiqués par les autorités (l’IGF affirme avoir réduit le « taux de corruption dans la gestion publique de 80 % à 50 % » en cinq ans), la RDC reste considérée comme un débiteur à risque élevé. En témoignent ses notations de crédit actuelles : Moody’s a récemment confirmé la note souveraine à B3 avec perspective stable, et Standard & Poor’s à B- stable. Ces notes situent le pays en catégorie « hautement spéculative », impliquant une forte prime de risque sur toute dette émise. Concrètement, pour emprunter sur les marchés, Kinshasa serait contraint de proposer des taux d’intérêt nettement supérieurs à ceux de pays mieux notés.

Plusieurs facteurs liés à la gouvernance alimentent cette prime de risque. La faiblesse de l’État de droit, les incertitudes réglementaires et la corruption endémique sont pointés du doigt par les analystes. Par exemple, les indicateurs de la Banque mondiale classent la RDC dans le bas du tableau mondial pour le contrôle de la corruption et l’efficacité des institutions. Un rapport de Fitch Ratings sur un pays comparable souligne qu’un rang dans le 18ᵉ percentile mondial en gouvernance (selon les Worldwide Governance Indicators) traduit de graves lacunes institutionnelles – ce qui est le cas de la RDC – et constitue un frein majeur à la confiance des investisseurs. En clair, tant que la justice et les contre-pouvoirs seront jugés trop faibles pour prévenir la prédation des deniers publics, le coût du risque souverain demeurera élevé.

Néanmoins, l’effet des récentes condamnations pourrait, à moyen terme, s’avérer bénéfique sur le risque pays, si elles s’accompagnent de réformes structurelles. Le fait de sanctionner des personnalités de premier plan, jadis intouchables, peut améliorer la perception globale du pays en montrant que l’État s’attaque à la corruption. Des avancées en matière de transparence budgétaire, de réforme de la fonction publique et de renforcement des organes de contrôle pourraient alors conduire les agences de notation à réviser leur évaluation. C’est ce qu’a commencé à faire Moody’s en relevant la note de la RDC de Caa1 à B3 en 2021, saluant une gestion macroéconomique plus prudente et des mesures de gouvernance accrues. Pour capitaliser sur cet élan et réduire durablement sa prime de risque, la RDC devra persévérer dans l’assainissement de ses finances publiques et garantir l’indépendance de la justice, afin de convaincre les marchés de la fiabilité de ses institutions.

Dette publique sous surveillance : quels impacts sur les négociations ?

L’onde de choc des affaires de corruption se répercute enfin sur la dette publique congolaise et les relations avec les bailleurs de fonds. À première vue, la situation d’endettement de la RDC semble encore soutenable : au 31 décembre 2023, la dette de l’administration centrale s’élevait à 10,56 milliards USD, soit environ 17,8 % du PIB. Ce taux d’endettement modéré résulte en partie d’efforts historiques d’allègement de dette et de la prudence relative depuis 2010. Toutefois, la tendance est à la hausse : l’encours a augmenté d’environ 1,06 milliard en 2023, et atteindrait autour de 13 milliards USD fin 2024 (environ 18,5 % du PIB) selon les projections. Surtout, la structure de cette dette et les besoins de financement posent question. Près des deux tiers de la dette sont extérieurs (créanciers multilatéraux, Chine, Inde, etc.), et les échéances de remboursement s’accélèrent. Le gouvernement devra par exemple trouver plus de 300 millions USD en 2024 rien que pour honorer le service de la dette et éviter des arriérés, créant une pression sur le budget 2025.

Dans ce contexte, la confiance des partenaires financiers est cruciale. Les négociations en cours avec les institutions internationales – notamment le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre du programme de Facilité élargie de crédit conclu en 2021 – intègrent explicitement des critères de bonne gouvernance. Le FMI et la Banque mondiale ont salué certaines mesures de transparence (publication des contrats miniers, audits des dépenses Covid-19), tout en appelant à intensifier la lutte contre la corruption pour assurer que l’aide bénéficie réellement à la population. Après les scandales Bukanga-Lonzo et autres, il est probable que ces bailleurs durcissent leurs exigences. Par exemple, des décaissements de tranches d’aide peuvent être conditionnés à la poursuite de procédures judiciaires contre les auteurs de détournements ou à la mise en place de systèmes de suivi financier plus stricts. La réputation du pays en a pris un coup, et chaque affaire retentissante peut compliquer les discussions sur un allègement de dette ou de nouveaux emprunts concessionnels. Un investisseur privé ou un État prêteur aura tendance à demander soit des garanties plus fortes, soit un taux d’intérêt majoré pour compenser le risque de voir les fonds détournés ou mal gérés.

À l’inverse, une amélioration tangible de la gouvernance grâce aux actions anticorruption pourrait faciliter les négociations financières. Des condamnations fermes rassurent sur la volonté du gouvernement de remettre de l’ordre : c’est un argument que Kinshasa ne manquera pas de faire valoir pour plaider sa cause auprès des créanciers. Déjà, le gouvernement congolais met en avant les progrès enregistrés dans les indicateurs internationaux – 15 places gagnées au classement de Transparency en cinq ans, d’après l’IGF – pour convaincre que le pays est sur la bonne voie. Les institutions financières internationales, de leur côté, encouragent publiquement ces efforts. La Banque mondiale a par exemple repris en 2023 ses appuis budgétaires après des années de gel, signe d’une confiance relative retrouvée, et le FMI a déboursé une tranche de 224,7 millions USD fin 2024 en concluant que les réformes convenues étaient globalement respectées.

En définitive, l’effet domino des jugements anticorruption en RDC est à double tranchant. D’un côté, il redore le blason d’une justice longtemps considérée comme laxiste, ce qui peut améliorer le climat des affaires et la position du pays dans les négociations financières internationales. De l’autre, il met en évidence les fragilités institutionnelles et la profondeur du mal, entretenant une crise de confiance vis-à-vis des autorités. Tout l’enjeu pour le Congo est de transformer l’essai : capitaliser sur ces premiers succès judiciaires pour instituer des réformes durables, restaurer la confiance des citoyens et des investisseurs, et in fine réduire le risque pays ainsi que le poids de la dette. Ce chemin est étroit, mais indispensable pour que les condamnations pour corruption ne soient pas qu’un coup d’épée dans l’eau, mais le début d’une véritable renaissance institutionnelle et économique.

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