Dans un retournement aussi ironique qu’implacable, la Commission spéciale de l’Assemblée nationale a ouvert jeudi la voie à des poursuites judiciaires contre Constant Mutamba, ministre d’État en charge de la Justice. L’affaire? Un détournement présumé de 19,9 millions de dollars américains destinés à la construction d’une prison à Kisangani. Le gardien de la loi pourrait-il devenir son premier transgresseur?
Selon les rapports concordants des médias kinois, le dossier accuse Mutamba d’avoir violé les procédures de marchés publics en attribuant directement le contrat à Zion Construction, une société récemment créée. Plus grave encore, les fonds proviendraient du FRIVAO (Fonds de Réparation des Indemnisations des Victimes des Activités illicites de l’Ouganda), détournant ainsi des ressources vitales pour les victimes de conflits. Le ministre se défend en invoquant l’urgence face au « délabrement avancé » de la prison de Kisangani. Mais cette justification résistera-t-elle à l’instruction?
La procédure révèle des fractures politiques profondes. Si certains députés saluent une avancée historique contre l’impunité, d’autres y voient un dangereux précédent, qualifiant l’acte de simple « erreur administrative ». Cette division illustre le malaise qui entoure ce scandale gouvernemental en RDC, où la lutte anticorruption bute souvent sur des réalités complexes.
Dans une escalade judiciaire remarquable, le procureur général Firmin Mvonde a parallèlement requis la levée d’immunité de Nicolas Kazadi, ancien ministre des Finances. Inculpé pour « divulgation de secrets d’État » et « propagation de fausses informations », Kazadi incarne un second front de turbulences pour l’exécutif. Ces deux affaires jumelles constituent un test décisif pour un pouvoir qui avait érigé la transparence en étendard. Leur gestion scellera-t-elle la crédibilité des institutions ou révélera-t-elle les limites des grandes déclarations?
L’affaire Zion Construction RDC expose avec une cruelle clarté les dysfonctionnements systémiques. Mutamba est accusé d’avoir usurpé les prérogatives du ministère des Infrastructures, court-circuitant tout contrôle. Le virement du 16 avril, ordonné sans appel d’offres, interroge sur les réseaux d’influence derrière cette société discrète. Dans un pays où les détournements de fonds publics défraient régulièrement la chronique, ce nouveau scandale pourrait cristalliser un rejet populaire croissant.
Ces instructions judiciaires simultanées contre des figures majeures du régime dessinent un paysage politique congolais sous tension. Alors que Constant Mutamba doit répondre de ses actes devant la justice qu’il dirigeait hier, et que Nicolas Kazadi voit son immunité menacée, le gouvernement semble pris dans son propre filet. La suite dépendra de la capacité des juges à résister aux pressions et à établir des vérités incontestables. Dans cette partie d’échecs judiciaire, l’enjeu dépasse les individus : c’est la crédibilité même de l’État de droit en RDC qui se joue.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net