« Quand la guerre a éclaté, nous avons commencé à fuir. Tous les membres de ma famille ont été tués : mon père, ma mère, tous mes frères. Personne n’est arrivé ici depuis que nous avons fui. Ils sont morts. » La voix brisée de cette femme résume le calvaire des milliers de déplacés du site de Nyamusasi lac Albert, où la désolation se lit sur chaque visage. Dans ce coin oublié du territoire de Djugu en Ituri, des familles entières survivent dans une précarité inhumaine, fuyant les récents affrontements entre la milice Convention pour la Révolution Populaire (CRP) de Thomas Lubanga et les Forces Armées de la RDC.
Comment en est-on arrivé là ? L’afflux massif de nouveaux déplacés ces dernières semaines a transformé Nyamusasi en symbole criant de la crise humanitaire Nyamusasi. Ils viennent grossir les rangs de plus de 8 000 personnes déjà présentes, toutes victimes du conflit Djugu persistant. « Nous avons tout abandonné en fuyant les balles », confie un père de famille, serrant contre lui son enfant squelettique. « Ici, nous ne sommes plus que des ombres. »
La promiscuité est insoutenable. Quarante-deux ménages s’entassent dans chaque hangar, certains dormant à même la terre battue, sans natte ni protection contre le froid nocturne du lac Albert. Seth Maki, gestionnaire du site, décrit une réalité cauchemardesque : « Ces nouveaux arrivants sont regroupés dans les hangars comme du bétail. Seuls ceux avec des nourrissons ou des vieillards tentent de trouver refuge dans des blocs légèrement moins inhumains. » D’autres errent dans des églises surpeuplées ou frappent aux portes de familles d’accueil déjà exsangues.
Les conditions déplacés RDC atteignent ici des sommets d’horreur. Pas d’eau potable. Pas de nourriture depuis trois jours pour certains. Pas de latrines dignes de ce nom. Une mère montre les plaies suintantes de son bébé : « Regardez ce que la boue et le manque de soins font à nos enfants. Est-ce une vie ? » L’absence criante d’ONG et la présence menaçante de groupes armés alentour paralysent toute tentative de cultiver ou de pêcher. La faim rôde, sinistre compagne de ces exilés de l’intérieur.
Derrière chaque regard vide se cache un drame personnel. Comme cette grand-mère dont les cinq petits-enfants ont disparu dans la panique des combats. Ou ces adolescents devenus chefs de famille du jour au lendemain après le massacre de leurs parents. Le traumatisme est une prison sans barreaux. « Nous ne pleurons même plus », murmure un vieil homme. « Nos larmes se sont taries avec l’espoir. »
Cette situation pose une question brûlante : jusqu’où devra sombrer l’Ituri avant que la communauté nationale et internationale ne réagisse ? Les déplacés Ituri survivent dans un angle mort humanitaire, abandonnés à leur sort malgré les alertes répétées. Les hangars de Nyamusasi sont une bombe sanitaire à retardement où le choléra guette. Quand les vivres manquent et que les enfants mendient un quignon de pain, que reste-t-il de la dignité humaine ?
Alors que les factions armées continuent leur ballet mortifère, Nyamusasi cristallise l’échec collectif à protéger les civils. Ces hangars sinistres au bord du lac ne sont pas un refuge, mais le dernier cercle d’un enfer congolais qui dévore ses enfants. Sans action urgente, combien de témoignages deviendront des épitaphes ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net