Une planche vermoulue de vingt mètres suspendue au-dessus des eaux boueuses de la rivière Lukaya, une échelle métallique rouillée comme unique issue : voilà le « pont » que des centaines de Kinois empruntent quotidiennement depuis le 5 avril dernier. Ce jour-là, des pluies diluviennes ont englouti l’infrastructure reliant les quartiers Lemba-Imbu et Verman à Mont-Ngafula, plongeant les habitants dans un cauchemar logistique et sécuritaire. Plus d’un mois après ces inondations meurtrières à Kinshasa, le silence des autorités résonne comme une insulte aux riverains condamnés à des traversées périlleuses.
« Avant, nous payions 500 francs pour traverser, aujourd’hui nous payons de notre sécurité », confie un habitant, les yeux rivés sur le gouffre aquatique. La structure effondrée, vieille de deux décennies, n’a laissé place qu’à un passage de fortune où chaque jour ressemble à une loterie mortelle. Les enfants glissent sur les planches glissantes, les femmes portent leurs marchandises à bout de bras sous le regard impuissant des aînés. Cette traversée dangereuse de la Lukaya est devenue le symbole criant d’une négligence institutionnelle.
Les conséquences dépassent largement le drame humain immédiat. La paralysie des transports à Kinshasa frappe de plein fouet l’économie locale, particulièrement les carrières de Ndjili Brasserie dont les camions lourdement chargés de caillasses ne peuvent plus circuler. « Nos activités sont arrêtées net », déplore un opérateur économique, montrant du doigt la berge déserte où gisent des carcasses de véhicules. La déconnexion entre Mont-Ngafula et N’Sele étrangle progressivement le tissu commercial d’une zone pourtant vitale pour l’approvisionnement de la capitale.
Face à cette inertie, les questions s’accumulent. Pourquoi la reconstruction du pont Lukaya tarde-t-elle alors que la saison des pluies menace de nouveaux drames ? Comment justifier l’absence totale de solution alternative pour désenclaver ces quartiers populaires ? Les promesses non tenues creusent un fossée de méfiance entre la population et les autorités. Les habitants, abandonnés à leur sort, ont développé des stratégies de survie : systèmes d’entraide pour porter les personnes âgées, horaires décalés pour éviter la cohue aux heures de pointe.
L’urgence dépasse désormais la simple réparation d’infrastructure. Le drame du pont Lukaya emporté révèle une fracture profonde dans la gestion des catastrophes naturelles à Kinshasa. Alors que les inondations d’avril 2025 ont exposé la vulnérabilité des quartiers périphériques, l’inaction persistante consacre une hiérarchie des vies et des territoires. Chaque jour sans reconstruction aggrave l’isolement de milliers de citoyens et sape la crédibilité des engagements publics. La rivière continue de charrier les espoirs brisés d’une communauté qui demande simplement à retrouver le droit fondamental de circuler sans risquer sa vie.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd