Sous une pluie battante qui transforme les ruelles en torrents, Jean Kabila, vendeur ambulant, montre du doigt sa maison de fortune : « Ils vont tout raser. Mais comment nourrir ma famille après ? ». Comme des centaines d’autres habitants de la baie de Ngaliema à Kinshasa, il vit dans l’angoisse depuis l’annonce fracassante du ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani. Mercredi 28 mai, une délégation gouvernementale de haut vol – incluant le vice-Premier ministre de l’Intérieur, les ministres des Affaires foncières et de l’Urbanisme, ainsi que le gouverneur de la ville – a arpenté ce quartier vulnérable. Leur mission ? Délimiter avec précision la zone condamnée par la prochaine vague de démolition constructions anarchiques Kinshasa.
Les bottes crottées des officiels ont foulé un terrain miné par l’improvisation urbaine. Ici, des maisons en parpaings grignotent les berges ; là, des échoppes de fortune bloquent les canaux naturels d’écoulement. Prévention inondations Ngaliema n’est pas un vain mot : chaque saison des pluies transforme ces artères en pièges mortels. « En 2023, l’eau est montée jusqu’au toit », se souvient Mama Léontine, commerçante depuis quinze ans dans le secteur. « J’ai perdu toutes mes marchandises. Mais où aller si on nous chasse ? ».
Derrière les bulldozers en attente, c’est tout un dilemme de l’urbanisme RDC qui se joue. La commission interministérielle – experts du pouvoir central et de la ville – a sonné l’alarme : ces habitats précaires aggravent les risques catastrophes Kinshasa. Le ministre Shabani est catégorique : « Ces démolitions éviteront des pertes humaines et des dégâts matériels lors des prochaines inondations ». Pourtant, une question brûle les lèvres : pourquoi avoir laissé s’édifier ces constructions si leur dangerosité était connue ? Le flou foncier et la corruption endémique ont ouvert la voie à ce chaos organisé.
La descente sur le terrain a révélé l’ampleur du défi. Les autorités ont méthodiquement cartographié le périmètre à raser autour de la baie de Ngaliema démolition, s’appuyant sur des relevés topographiques et hydrologiques. « Chaque bâtiment empiétant sur les zones inondables ou les voies d’évacuation des eaux sera détruit », a précisé un expert sous couvert d’anonymat. Mais cette rigueur technique bute contre une réalité sociale explosive. Près de 80% des occupants n’ont aucun titre de propriété. Seront-ils relogés ? Indemnisés ? Le gouvernement reste évasif.
Dans l’ombre des ministres, des scènes de désespoir se jouent. Des familles entières entassent déjà leurs maigres biens sur des charrettes branlantes. « On nous parle de sécurité, mais qui nous protège de la rue ? », interroge amèrement Pascal Mbuyi, père de quatre enfants. Cette opération, bien que nécessaire, ressemble à un pansement sur une jambe de bois. Car le vrai mal rongeant Kinshasa est systémique : absence de plan d’urbanisation cohérent, spéculation foncière effrénée, et services publics défaillants. Sans réforme structurelle, les constructions anarchiques renaîtront plus loin, déplaçant le problème sans le résoudre.
La baie de Ngaliema démolition cristallise ainsi un enjeu vital pour la capitale congolaise : jusqu’où sacrifier l’humain sur l’autel de la modernité ? Les autorités brandissent l’urgence climatique – légitime – mais oublient trop souvent l’urgence sociale. Prévenir les inondations est indispensable ; jeter des milliers de personnes dans la précarité ne peut être la seule solution. L’équation kinoise exige désormais un troisième volet : une politique de logement inclusif. Sans cela, chaque saison des pluies continuera d’emporter des vies… et des espoirs.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
