Les mains couvertes de boue, un groupe d’habitants s’acharne vainement sur un amas de terre et de rochers qui barre la route depuis mardi soir. « On travaille depuis l’aube avec des pelles et des pioches, mais c’est comme vouloir vider le fleuve Congo avec une calebasse », témoigne Kambale, taximan bloqué à Kibati. Ce glissement de terre survenu dans le groupement Luberike après des pluies diluviennes a transformé l’axe vital Walikale-Kashebere en impasse, paralysant la circulation dans cette région du Nord-Kivu déjà éprouvée.
La route ressemble désormais à un champ de bataille naturel : des pans entiers de colline se sont effondrés sur la chaussée, ensevelissant près de 200 mètres de voie sous des débris atteignant par endroits trois mètres de hauteur. Aucun véhicule, pas même les motos réputées pour leur agilité, ne peut franchir cet obstacle. Des convois entiers restent prisonniers de part et d’autre de la barrière minérale, leurs passagers contraints à une attente indéterminée sous le soleil équatorial. Comment des milliers de familles vont-elles survivre si cette artère économique reste obstruée ?
La Fédération des Entreprises du Congo tire la sonnette d’alarme : « Walikale centre risque la pénurie totale de produits manufacturés d’ici 72 heures », prévient son représentant local. Cette unique voie d’approvisionnement de Walikale assure le transit de plus de 80% des denrées alimentaires, médicaments et biens essentiels en provenance de Goma. La suspension du trafic Nord-Kivu intervient dans un contexte déjà catastrophique où les prix avaient grimpé de 40% ces derniers mois à cause des routes délabrées. Les marchés locaux pourraient voir leurs étals se vider dramatiquement, plongeant près de 300 000 habitants dans une crise humanitaire aiguë.
Mais l’enjeu dépasse l’urgence économique. « Cette route est stratégique pour nos forces armées », rappelle un leader de la société civile sous couvert d’anonymat. La zone étant en phase opérationnelle contre les rebelles de l’AFC/M23, la coupure de la route Walikale-Kashebere compromet gravement la mobilité des troupes et le ravitaillement des avant-postes militaires. Alors que les positions rebelles se consolident dans le territoire, ce blocage imprévu pourrait offrir à ces groupes armés un avantage tactique inestimable. Les opérations militaires Nord-Kivu, déjà complexes, se retrouvent ainsi doublement handicapées par les éléments naturels et l’état désastreux des infrastructures.
Face à cette double crise – humanitaire et sécuritaire – les habitants réclament une intervention urgente des autorités provinciales. « Nous avons besoin d’engins lourds, pas de nos mains nues ! » lance une commerçante dont la cargaison de farine commence à pourrir sous la chaleur. Certains évoquent amèrement les promesses non tenues de réhabilitation routière, tandis que d’autres redoutent des tensions sociales si la pénurie s’aggrave. La résilience des populations est mise à rude épreuve dans cette région où chaque obstacle supplémentaire ressemble à une punition divine.
Alors que la saison des pluies s’intensifie, cette catastrophe locale révèle cruellement la vulnérabilité d’un territoire où la moindre intempérie peut dégénérer en crise nationale. Entre approvisionnement vital de Walikale compromis et sécurité régionale fragilisée, le glissement de terre de Kibati symbolise ces maillons faibles qui menacent l’équilibre précaire de l’Est congolais. Combien de vies seront sacrifiées sur l’autel des infrastructures négligées avant que des solutions durables n’émergent ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
