La Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo a infligé ce jeudi une peine de dix années de travaux forcés à l’ancien chef du gouvernement Augustin Matata Ponyo, reconnu coupable de détournement de fonds publics dans le cadre du projet agro-industriel controversé de Bukanga Lonzo. Ses coaccusés, Déogratias Mutombo, ancien gouverneur de la Banque centrale du Congo, et l’entrepreneur sud-africain Christo Grobler, ont quant à eux écopé de cinq années d’emprisonnement ferme. Selon les conclusions accablantes de l’Inspection Générale des Finances, plus de 285 millions de dollars américains destinés à deux projets structurants auraient été illicitement soustraits aux caisses de l’État.
Cette décision judiciaire intervient malgré des réquisitions initiales plus sévères du ministère public, soulevant d’emblée des interrogations sur l’adéquation des peines au préjudice subi par la nation. Comment une affaire de cette envergure financière peut-elle déboucher sur des sanctions inférieures aux attentes du parquet ? La question demeure en suspens tandis que la Cour a simultanément ordonné la confiscation intégrale des biens mobiliers et immobiliers des trois condamnés. Ces mesures, qualifiées de sanctions pénales complémentaires, ne constituent toutefois pas un mécanisme de restitution des fonds détournés, laissant ouverte la problématique du recouvrement des avoirs publics spoliés.
La légitimité même de la Cour constitutionnelle à juger cette affaire a été âprement contestée. Dans un arrêt détaillé, la juridiction suprême a affirmé que l’immunité parlementaire invoquée par Matata Ponyo – élu sénateur après les faits – ne protège pas la personne mais exclusivement l’exercice de la fonction législative. Elle a souligné que les poursuites avaient été régulièrement engagées avant son entrée au Parlement, rendant inopérante cette protection. « Les procédures avaient dépassé le stade nécessitant une autorisation de poursuites », a-t-elle précisé, invoquant le principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs pour balayer les critiques.
Cette argumentation n’a pourtant pas convaincu l’Assemblée nationale. Son président, Vital Kamerhe, a publiquement dénoncé une violation flagrante de la Constitution, annonçant une crise institutionnelle latente entre le législatif et le judiciaire. Dans le même temps, la défense de l’ancien Premier ministre maintient une ligne de contestation radicale, dénonçant un procès à motivation politique. « Cette affaire ressurgit systématiquement lorsque le pouvoir cherche à neutraliser l’opposition ou à forcer des ralliements », a déclaré Me Richard Bondo, l’un des avocats de Matata Ponyo. L’accusé lui-même a fustigé une instrumentalisation de la Cour constitutionnelle, rappelant le limogeage de son ancien président Dieudonné Kaluba, qui avait refusé de juger un précédent chef de gouvernement.
Au-delà des polémiques, le procès agro-industriel RDC révèle les failles béantes dans la gestion des grands projets publics. Lancé en 2014, Bukanga Lonzo devait incarner la modernisation agricole du pays mais s’est transformé en symbole de gabegie, avec des infrastructures aujourd’hui à l’abandon. Les magistrats ont établi que les fonds détournés concernaient également un second projet non révélé publiquement, complexifiant davantage le schéma frauduleux. Déogratias Mutombo, pivot central de ce système, aurait utilisé sa position à la Banque centrale pour faciliter les transferts illicites vers des comptes offshore.
La défense a immédiatement annoncé son intention de déposer une requête en inconstitutionnalité, promettant de nouvelles péripéties judiciaires dans ce dossier déjà épineux depuis son ouverture en 2021. Cette condamnation marque-t-elle un tournant dans la lutte contre la corruption des hautes sphères ou simplement un règlement de comptes politique ? L’opinion publique congolaise, habituée aux rebondissements des affaires impliquant l’élite, observe avec un scepticisme accru. La crédibilité des institutions dépendra désormais de leur capacité à garantir un processus d’appel équitable, loin des pressions partisanes qui ont plané sur ce procès historique.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: Actualite.cd