L’enlèvement nocturne de Martin Kabwelulu, ancien ministre des Mines sous Joseph Kabila, et de son épouse Yvonne Mwepu, ex-députée nationale, secoue Kinshasa comme un coup de tonnerre dans un ciel politique déjà chargé d’inquiétudes. L’affaire, révélée par le Front Commun pour le Congo (FCC), dévoile un scénario digne des heures les plus sombres de la gestion sécuritaire : quarante hommes armés, se réclamant des services de renseignement, investissent à 3h du matin la résidence du couple dans le quartier cossu de Ma Campagne. Les époux disparaissent dans les limbes d’un système où la frontière entre sécurité d’État et arbitraire semble s’effriter.
Leur réapparition dans les « cachots » du Conseil National de Cyberdéfense (CNC) – structure créée en 2023 sous l’égide de la présidence – jette une lumière crue sur les méthodes d’un organe présenté comme le fer de lance de la modernité sécuritaire. « Des méthodes qui n’ont rien à envier à celles décriées de l’ANR », assène Justicia ASBL dans un communiqué cinglant. L’ONG dénonce une « chasse à la sorcière » visant les vestiges du régime Kabila, alors même que Kabwelulu s’était éclipsé de l’arène politique depuis 2019.
Que cache cette opération menée avec un luxe de violence disproportionné ? La détention du couple pendant près de 24h dans les geôles du CNC, sans mandat ni notification légale, interroge sur la pérennité des réformes judiciaires promises. « La RDC peut-elle encore prétendre au statut d’État de droit quand ses institutions contournent leurs propres lois ? », questionne un juriste sous couvert d’anonymat. Le relâchement expéditif de Mme Mwepu, sans explication, ajoute au caractère erratique de cette affaire.
Le FCC, dans une charge verbale sans précédent, dénonce « une dérive autoritaire qui rappelle les pires heures du régime Mobutu ». Une accusation lourde, tandis que Justicia ASBL pointe du doigt « un mépris flagrant des engagements constitutionnels et internationaux sur les droits des détenus ». Les références implicites au cas Ngoyi Mulunda, pasteur détenu secrètement pendant des mois, dessinent une inquiétante continuité dans les pratiques sécuritaires.
La création du CNC, présentée en 2023 comme une avancée technocratique, révèle aujourd’hui son double visage : outil de cyberdéfense ou instrument de répression politique ? La détention illégale à Kinshasa d’un ex-minister par cette structure interroge sur sa chaîne de commandement. « Qui donne les ordres au Conseil ? Jusqu’où s’étend son mandat ? », s’interrogent des députés de l’opposition, réclamant une commission d’enquête parlementaire.
Cette affaire survient dans un contexte de tensions croissantes entre la majorité présidentielle et les réseaux kabilistes. Kabwelulu, bien que retiré des feux de la rampe, incarne toujours un pan de l’ancien système. Son arrestation spectaculaire envoie-t-elle un signal aux dissidents potentiels ? Ou traduit-elle des luttes intestines au sein des appareils de sécurité ?
La réaction internationale constituera un test pour le régime Tshisekedi, déjà sous pression sur les questions des droits humains. Les prochains jours diront si cette affaire restera un épisode isolé ou marquera l’entrée dans une ère de durcissement sécuritaire. Une chose est sûre : le CNC, conçu pour protéger la démocratie numérique, devra désormais se défendre d’en être le fossoyeur.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd