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(DOSSIER)Analyse du Discours de Joseph Kabila : Entre Bilan, Critique et Positionnement Politique dans une RDC en Tension

Introduction

Le paysage politique congolais, rarement avare en rebondissements, a été récemment marqué par une sortie médiatique significative : celle de l’ancien président Joseph Kabila. Après plusieurs années d’un silence quasi-total depuis la passation pacifique du pouvoir à Félix Tshisekedi en janvier 2019 – un événement alors historique pour la République Démocratique du Congo (RDC) –, Joseph Kabila a choisi de s’adresser à la nation. Ce discours, diffusé largement, intervient dans un climat politique et sécuritaire particulièrement complexe et tendu. Il survient notamment peu après une décision majeure du Sénat congolais : la levée de l’immunité parlementaire dont bénéficiait l’ancien chef de l’État en tant que sénateur à vie. Cette décision ouvre potentiellement la voie à des poursuites judiciaires à son encontre, ajoutant une couche de complexité à l’interprétation de sa prise de parole. Cet article se propose d’analyser en profondeur le contenu de ce discours, en le replaçant méticuleusement dans le contexte congolais actuel, afin d’en décrypter les messages clés, les non-dits, et les implications potentielles pour l’avenir politique du pays.

Le Contexte : Une RDC sous Tension

Pour appréhender pleinement la portée du discours de Joseph Kabila, il est indispensable de rappeler les principaux éléments du contexte congolais récent. La période post-Kabila est loin d’avoir été un long fleuve tranquille. La coalition initiale formée entre le camp de Félix Tshisekedi (CACH) et celui de Joseph Kabila (Front Commun pour le Congo, FCC), majoritaire au Parlement après les élections controversées de 2018, a volé en éclats fin 2020. Félix Tshisekedi a réussi à renverser la majorité parlementaire et à former une nouvelle coalition, l’Union Sacrée de la Nation, marginalisant de fait le FCC et Joseph Kabila. Cette reconfiguration politique majeure a été qualifiée de “coup d’État institutionnel” par Kabila dans son discours.

Les élections générales de décembre 2023, qui ont vu la réélection de Félix Tshisekedi dès le premier tour, ont été fortement critiquées par l’opposition, y compris par des figures comme Moïse Katumbi et Martin Fayulu, ainsi que par certaines missions d’observation, pour des irrégularités et des fraudes massives. Kabila lui-même qualifie ce scrutin de “simulacre”.

Sur le plan sécuritaire, la situation demeure extrêmement préoccupante, en particulier dans l’Est du pays. La résurgence du groupe rebelle M23, soutenu selon Kinshasa et des experts de l’ONU par le Rwanda voisin (ce que Kigali dément), a entraîné des déplacements massifs de population et une crise humanitaire aiguë. D’autres régions, comme le Maï-Ndombe ou le Katanga, connaissent également des foyers de violence. La gestion de cette insécurité persistante est un défi majeur pour le gouvernement Tshisekedi.

Enfin, le contexte judiciaire immédiat est crucial. La levée de l’immunité de Joseph Kabila par le Sénat, quelques jours seulement avant la diffusion de son discours, est un événement politique de première importance. Des accusations de trahison et de soutien présumé à des groupes armés (notamment le M23) pèsent sur l’ancien président, bien qu’aucune procédure formelle n’ait été officiellement lancée à ce stade. C’est dans cette atmosphère chargée que la parole de Kabila résonne.

La Rupture du Silence : Justifications et Timing

Joseph Kabila entame son allocution en justifiant sa décision de rompre son “devoir de réserve”. Il explique : “depuis lors [la fin de son mandat], je m’étais imposé un silence, devoir de réserve, y compris quand je faisais l’objet, directement ou par mes proches interposés, de provocations, de dénis, d’humiliations, d’imputations dommageables et d’autres multiples atteintes à ma dignité.” Il affirme avoir choisi le silence pour ne pas faire le jeu de ceux qui cherchaient à “détourner l’attention de notre peuple de leur incapacité aujourd’hui avérée à répondre à ses attentes et aspirations”.

La raison invoquée pour cette rupture est grave : “j’ai décidé de briser ce long silence […] parce que l’enjeu est de taille, il est même existentiel […] pour la nation congolaise et pour l’avenir de notre cher et beau pays.” Il va plus loin, dramatisant son propos : “j’ai décidé de briser le silence parce qu’au vu de la situation que traverse notre pays, continuer à me taire m’aurait rendu poursuivable devant le tribunal de l’histoire pour non-assistance à plus de 100 millions de compatriotes en danger.” Se positionnant en sauveur potentiel, il offre ses “réflexions” pour participer à la “recherche de la solution à la crise que traverse notre pays”.

Si les motifs invoqués relèvent de la responsabilité historique et de l’urgence nationale, le timing de cette intervention, coïncidant presque parfaitement avec la levée de son immunité, ne peut être ignoré. Le discours apparaît ainsi largement comme une manœuvre politique défensive et une contre-attaque face à la pression judiciaire et politique croissante exercée par le régime actuel. Il s’agit de reprendre l’initiative, de façonner le narratif et de mobiliser ses partisans et l’opinion publique.

Une Charge Implacable contre le Régime Tshisekedi

Le cœur du discours est une critique au vitriol de la gouvernance de Félix Tshisekedi. Kabila dresse un bilan qu’il juge catastrophique des six dernières années, accusant son successeur d’avoir “complètement dilapidé” l’héritage qu’il lui aurait légué. Les accusations sont multiples et couvrent tous les domaines :

  • Dérive autoritaire et violations constitutionnelles : Kabila dénonce une “ivresse du pouvoir sans limite” caractérisée par “une série de remises en cause, reniements et violations intentionnelles de la Constitution”. Il cite le remaniement de la Cour Constitutionnelle et le renversement de la majorité parlementaire FCC comme des actes fondateurs de cette dérive. “La violation de ce texte juridique [la Constitution], fondement de tout État de droit, pour de simples raisons de confort politique, est devenue depuis lors une marque distinctive de la gouvernance de notre pays”, assène-t-il.
  • Illégitimité démocratique : Les élections de 2023 sont balayées d’un revers de main : “le simulacre des élections de décembre 2023, organisé en violation du cadre juridique et de normes internationales pertinentes, qui, par une ampleur sans précédent de la fraude, ont amplifié l’illégitimité des institutions et de leurs animateurs.” Il pointe également la nomination jugée illégale de membres de la CENI.
  • Mauvaise gouvernance et climat politique délétère : L’ancien président fustige ce qu’il décrit comme les piliers de la gouvernance actuelle : “le populisme et la démagogie, le mensonge et l’arrogance, la discrimination et la stigmatisation […], l’institutionnalisation du tribalisme et du népotisme, l’opposition de communautés nationales les unes aux autres, le discours de haine et l’injustice ainsi que l’impunité”. Ces maux auraient “détruit la cohésion nationale et le vivre ensemble”.
  • Faillite économique et sociale : Malgré l’augmentation des recettes publiques (qu’il attribue aux réformes de ses propres mandats), Kabila déplore l’absence d’investissements structurants, le retour de l’inflation, une corruption et des détournements “inédits”, et un endettement public galopant “dépassant la barre de 10 milliards de dollars”. Sur le plan social, il évoque l’aggravation du chômage, les arriérés de salaires, la baisse du niveau de vie et la montée de l’insécurité urbaine et de la famine.
  • Instrumentalisation des institutions : Le Parlement est réduit à une “chambre d’enregistrement”, tandis que la justice serait devenue “un instrument d’oppression d’une dictature”, partageant ce rôle avec “les milices tribales ainsi que la police et le service de renseignement”.

Cette critique systématique vise à délégitimer profondément le pouvoir en place et à le présenter comme la source unique des maux du pays.

La Défense du Bilan Kabila : Un Héritage Contrasté

Face à ce tableau apocalyptique de la RDC sous Tshisekedi, Joseph Kabila oppose un bilan idéalisé de ses propres années au pouvoir (2001-2019). Il rappelle avoir hérité en 2001 d’un “pays au bord de l’implosion, miné par une longue dictature et des guerres, sans institutions républicaines, économiquement en faillite et socialement déchiré”. À l’inverse, il affirme avoir légué en 2019 :

  • “Un pays réunifié, largement pacifié”.
  • “Une nation reconstituée, réconciliée et fière de sa diversité”.
  • “Un État doté d’une constitution progressiste et des institutions fonctionnant harmonieusement”.
  • “Une économie dynamique et résiliente”, débarrassée du fardeau de la dette.
  • “Une armée nationale républicaine de plus en plus professionnelle”.
  • “Une démocratie en constante consolidation”, avec l’organisation de trois cycles électoraux sur fonds propres.

Cette auto-évaluation positive, destinée à polir son image et à le poser en homme d’État responsable, fait cependant l’impasse sur les nombreuses critiques formulées à l’encontre de ses mandats : persistance des conflits armés et des violations des droits humains dans l’Est, répression des opposants et des manifestations, corruption endémique, et processus électoraux souvent entachés de controverses. La neutralité impose de rappeler que son bilan est loin d’être unanimement considéré comme positif.

La Question Cruciale de la Sécurité

Kabila consacre une part importante de son discours à la situation sécuritaire, qu’il juge “plus que préoccupante” sur l’ensemble du territoire. Il impute cette dégradation à la “mauvaise gouvernance” du régime actuel, citant “une formation militaire bâclée, des recrutements et mises en place ethniquement motivés”, ainsi que l’emprisonnement d’officiers compétents. Il critique avec véhémence le recours à des supplétifs : “il a été substitué [à l’armée nationale] des bandes de mercenaires, de groupes armés, de milices tribales et de forces armées étrangères qui non seulement ont montré leurs limites mais aussi enfoncé le pays dans un chaos indescriptible.”

Il accuse le pouvoir d’avoir “perdu le monopole de la violence légitime” et d’avoir “vilipendé, conspué et tourné en dérision” l’armée nationale. Sur le plan régional, il reproche au gouvernement d’avoir abandonné les cadres diplomatiques existants (Pacte des Grands Lacs, Accord-cadre d’Addis-Abeba) et d’avoir utilisé des “forces négatives” comme les FDLR et des groupes armés congolais comme supplétifs, ouvrant la voie à la “régionalisation du conflit”.

Ces critiques, bien que pointant des défis réels, omettent de mentionner que la crise sécuritaire dans l’Est est un problème structurel ancien, antérieur à l’arrivée de Tshisekedi au pouvoir, et que des accusations de soutien à certains groupes armés (notamment le M23 via le Rwanda) pèsent également sur des personnalités de l’ère Kabila, voire sur lui-même, bien qu’il s’en défende implicitement.

Conclusion : Un Acte Politique aux Multiples Facettes

Le discours de Joseph Kabila est bien plus qu’une simple analyse de la situation nationale. C’est un acte politique calculé, une réponse directe aux pressions qu’il subit, et une tentative de se repositionner sur l’échiquier politique congolais. En dressant un portrait au noir du régime actuel et en idéalisant son propre passé, il cherche à regagner une légitimité perdue et à mobiliser contre son successeur.

Il conclut sur un appel vibrant : “Pour sauver le Congo […] la dictature doit prendre fin et la démocratie tout comme la bonne gouvernance économique et sociale doivent être restaurées.” Il insiste sur l’impératif d’une “solution politique sincère” pour éviter de nouvelles “convulsions politiques”, “troubles à la paix”, “conflits armés et guerres civiles”.

Cette prise de parole marque sans doute une nouvelle phase dans la confrontation entre les deux derniers présidents congolais. Elle pourrait préfigurer une opposition plus frontale de la part de Joseph Kabila, potentiellement en coordination avec d’autres figures de l’opposition. Les suites judiciaires de la levée de son immunité et la réaction du pouvoir en place seront déterminantes pour l’évolution de la situation politique déjà volatile en RDC. L’analyse neutre de ce discours impose de considérer la gravité des accusations portées, tout en les contextualisant et en gardant à l’esprit les enjeux politiques et personnels qui le sous-tendent.

Sources: Discours Joseph Kabila Youtube, RFI, Jeune Afrique, Le Monde, Radio Okapi

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Chloé Kasong
Chloé Kasong
Issue de Kinshasa, Chloé Kasong est une analyste rigoureuse des enjeux politiques et sociaux de la RDC. Spécialisée dans la couverture des élections, elle décortique pour vous l’actualité politique avec impartialité, tout en explorant les mouvements sociaux qui façonnent la société congolaise. Sa précision et son engagement font d'elle une voix incontournable sur les grandes questions sociétales.
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