Dans les rues de Kinshasa, où le bitume exhale encore la chaleur des luttes quotidiennes, une voix neuve perce le brouhaha des revendications. Jean-Salem Alumba, jeune prodige de 21 ans, dépose sur l’autel des lettres congolaises Jérémiades +243, un recueil-poème qui vibre comme un électrocardiogramme de la nation. Aux éditions Colline Inspirée, ce brûlot de 90 pages s’impose tel un miroir tendu à une génération tiraillée entre désenchantement et soif de renaissance.
« Chaque vers est un filtre qui capture l’essence de nos combats invisibles », confie l’auteur, dont la plume danse entre l’élégiaque et le pamphlétaire. Entre deux méditations théologiques à la paroisse Saint Paul, ce candidat au sacerdoce cisèle des métaphores qui transpercent l’opacité des réalités nationales.
L’ouvrage, traversé par le souffle des Psaumes et la fougue des manifestes, dessine une cartographie littéraire des plaies congolaises. Les strophes épousent les contours de blessures collectives : ici un hémistiche évoque l’écho lointain des armes au Kivu, là une allitération murmure les combines des élites. La langue, tantôt fluide comme le fleuve Congo, tantôt âpre comme les gravats des chantiers inachevés, devient instrument d’autopsie sociale.
Qu’est-ce donc que cette « Jérémiade » moderne ? Une lamentation prophétique qui, sous couvert de déploration, allume des contre-feux d’espérance. L’auteur y interroge sans relâche l’héritage empoisonné légué aux nouvelles générations : « Nos mains, en se tendant pour recevoir des dollars, ont-elles oublié de bâtir ? ». La question, lancinante, résonne comme un appel à la responsabilisation collective.
« Écrire, c’est résister deux fois : contre l’oubli et contre la résignation », souligne Jean-Salem Alumba, dont le parcours atypique – entre sacristie et réseaux sociaux – incarne cette synthèse entre spiritualité et militantisme numérique. Ses textes, partagés d’abord sur Facebook avant de gagner le papier, tracent un pont entre tradition orale et avant-gardisme littéraire.
Les éditions Colline Inspirée, en publiant cette œuvre, consolident leur position de laboratoire des nouvelles écritures africaines. Le choix d’un titre incluant l’indicatif +243 n’est pas anodin : il ancre la démarche dans un cyberactivisme poétique où le hashtag devient verset. Cette poésie-là ne se contente pas de décrire les fractures – elle tente de les suturer par la magie du verbe.
À travers des images fortes – « le soleil se lève en boitant sur les collines de Ndjili » –, le jeune auteur transcende le simple témoignage. Son écriture, habitée par une tension entre colère sacrée et tendresse franciscaine, invente une nouvelle grammaire de l’engagement. Les thèmes politiques s’y entrelacent à des méditations sur la paternité spirituelle, créant un dialogue inédit entre citoyenneté et transcendance.
Reste à savoir comment accueillera Kinshasa ce cri poétique. Dans les librairies de la Gombe comme dans les cercles littéraires de Matonge, l’ouvrage suscite déjà des débats passionnés. Et si la véritable révolution congolaise devait naître entre les lignes d’un recueil de poèmes ? Jean-Salem Alumba, en tout cas, en fait le pari audacieux.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd