En République Démocratique du Congo, où 63% de la population a moins de 25 ans, une question cruciale se pose : et si le désamour des jeunes pour la lecture compromettait l’avenir éducatif du pays ? Alors que les experts internationaux célèbrent les vertus cognitives et sociales de la lecture, la RDC fait face à un paradoxe inquiétant. Les bibliothèques universitaires de Kinshasa à Goma regorgent de savoir, mais leurs rayonnages semblent parler à des murs.
« Un jeune qui ne lit pas est comme un oiseau aux ailes rognées », lance Evariste Tundaken, bibliothécaire à l’UDMAZ. Son constat est sans appel : moins de 15% des étudiants fréquentent régulièrement les centres documentaires. Pire : certains obtiennent leur diplôme sans jamais avoir consulté un livre en bibliothèque. Comment expliquer cette fracture entre les potentialités éducatives et les pratiques réelles ?
Les causes sont multiples. D’abord un héritage scolaire où la lecture reste associée à la contrainte plutôt qu’au plaisir. « On nous donne des listes de livres comme des ordonnances médicales », confie Tina Malamba, étudiante en sociologie. Ensuite, la concurrence du numérique mal canalisée : les écrans captent l’attention sans structurer la pensée. Enfin, un manque criant d’infrastructures – seulement 27 bibliothèques publiques pour 100 millions d’habitants selon le ministère de la Culture.
Pourtant, les enjeux dépassent la simple performance scolaire. « La lecture développe l’esprit critique nécessaire à la construction citoyenne », rappelle un expert de l’UNESCO contacté par notre rédaction. Dans un pays marqué par les conflits et les fake news, cette compétence devient vitale. Les bibliothèques pourraient jouer un rôle clé en devenant des hubs culturels polyvalents. Certaines initiatives commencent à émerger : clubs de lecture interuniversitaires, nuits littéraires à Lubumbashi, partenariats avec des éditeurs locaux.
Mais le chemin reste long. « Il faut repenser toute la chaîne du livre », insiste un libraire de la Gombe. De la production éditoriale adaptée aux réalités congolaises jusqu’aux politiques d’incitation fiscale pour les maisons d’édition. Sans oublier la formation des enseignants : beaucoup reconnaissent ne pas avoir été formés à transmettre le goût de lire.
La solution passera-t-elle par une alliance entre tradition et modernité ? Certaines universités testent des formules hybrides : livres physiques accompagnés de QR codes vers des podcasts d’auteurs. Une manière de faire dialoguer papier et numérique plutôt que de les opposer. « Le support importe moins que le contenu », tempère Tina Malamba, devenue ambassadrice d’un programme de lecture mobile dans son quartier.
Alors que le gouvernement promet une réforme éducative ambitieuse pour 2025, la question littéraire reste le parent pauvre des débats. Pourtant, comment imaginer un développement durable sans socle culturel solide ? Les bibliothèques universitaires de la RDC, véritables mines d’or méconnues, attendent leur révolution. Et avec elles, des générations de jeunes esprits en quête d’émancipation.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd