Le grondement des moteurs s’est tu en plein jour. À Kinshasa, la circulation des poids lourds vient de connaître un tournant historique. « Depuis des mois, je perds trois heures chaque matin dans les bouchons pour emmener mes élèves en cours », témoigne Julienne Mbala, enseignante dans une école de la Gombe. Comme elle, des milliers de Kinois respirent un air mêlé d’espoir et de scepticisme face à l’interdiction des camions de plus de 20 tonnes en journée, effective depuis ce mercredi 21 mai 2025.
Cette décision du gouvernement provincial, annoncée dans un communiqué signé par le ministre Bob Amisso Yoka, vise à désengorger une ville paralysée par ses propres artères. Les véhicules transportant matériaux de construction, boissons ou approvisionnant les bars devront désormais défiler entre 22h et 5h du matin. Une mesure radicale qui soulève immédiatement des questions : suffira-t-elle à fluidifier le trafic étouffant de la capitale ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur l’avenue Lumumba, axe stratégique de Kinshasa, le temps de trajet moyen a augmenté de 40% depuis 2023 selon une récente étude urbaine. « Les camions stationnent parfois toute la matinée devant nos entrepôts », déplore un gérant de société logistique sous couvert d’anonymat. Le secteur du transport représente pourtant un maillon crucial de l’économie locale, desservant marchés et chantiers pharaoniques.
Derrière cette régulation du trafic à Kinshasa se profile un dilemme social. Si les parents d’élèves saluent une mesure « enfin concrète » selon les mots d’un représentant de l’association des écoles publiques, les transporteurs grognent. « Travailler la nuit expose nos chauffeurs aux attaques sur les routes mal éclairées », s’insurge un responsable de compagnie, requérant des garanties de sécurité.
Cette interdiction des poids lourds à Kinshasa interroge aussi la résilience des petites entreprises. « Comment vais-je recevoir mes livraisons de bière ? » s’inquiète Gédéon, gérant d’un bar populaire à Matonge. Une crainte partagée par les commerçants du grand marché de la Liberté, où les camions assurent 70% du ravitaillement selon la chambre de commerce.
Les experts pointent un mal plus profond. « Le vrai problème, c’est l’absence de plan directeur des transports depuis des décennies », analyse le professeur Luc Tshibangu, urbaniste à l’Université de Kinshasa. Avant d’ajouter : « Sans investissement dans les routes alternatives ni dans les transports en commun, toute mesure restera un pansement sur une jambe de bois. »
Reste que cette régulation du trafic à Kinshasa pourrait avoir des répercussions insoupçonnées. Certains redoutent une inflation des coûts logistiques répercutés sur les prix des denrées. D’autres y voient une opportunité pour moderniser la flotte de transport urbain. « C’est le moment idéal pour développer des véhicules électriques adaptés aux nouvelles contraintes », suggère une start-up locale spécialisée dans la mobilité verte.
Alors que la nuit tombe sur la capitale, les premiers convois de camions s’ébranlent dans une pénombre troublée de projecteurs. Entre espoir de fluidité retrouvée et crainte d’effets collatéraux, Kinshasa vit une mutation urbaine dont les conséquences sociales et économiques façonneront son visage pour les années à venir.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net